Résumé du colloque international « Politique, société et construction identitaire : Autour de saint Maurice » à Besançon, France (28-30 septembre 2009) et à Saint-Maurice, Suisse (1er-2 octobre 2009), organisée par le Laboratoire des Sciences Historiques de l’Université de Franche-Comté (France) et la Fondation des Archives historiques de l’Abbaye de Saint-Maurice (Suisse).
Auteur : Klaus KRÖNERT
Saint Maurice d’Agaune, vénéré comme chef de la légion Thébaine, subit, selon la légende, le martyre en Valais au IIIe siècle. Ses reliques furent découvertes par Théodore, évêque d’Octodurum (aujourd’hui Martigny), quelques décennies plus tard, et le saint connut très vite un culte important, notamment grâce à Sigismond, roi des Burgondes qui fonda, en 515, une abbaye en l’honneur du martyr. Si l’importance du culte de Maurice ne fait guère de doute, les recherches à son sujet restèrent, pendant longtemps, très maigres. En effet, la tâche paraissait si grande qu’elle pouvait décourager les chercheurs les plus motivés. Après un premier colloque, organisé en 2003 à Saint-Maurice d’Agaune (Suisse) qui était consacré, pour l’essentiel, à la tradition textuelle des écrits sur le saint, Nicole BROCARD, Marie-Claude CHARLES, Françoise VANNOTTI et Anne WAGNER ont organisé, en septembre et en octobre 2009, à Besançon et à Saint-Maurice, un colloque international, consacré aux enjeux cultuels, politiques et sociaux du culte du saint depuis l’Antiquité tardive jusqu’à l’époque moderne. Trente-deux communications – et une visite des fouilles dans l’abbaye –, reparties sur quatre jours, ont constitué un programme très dense et extrêmement riche, qu’il serait trop long de résumer dans l’intégralité. Etant donné que le site de HagHis est, pour l’essentiel, consacré à l’histoire du haut Moyen Age et du Moyen Age central (jusqu’au XIIe siècle), je me concentre ici sur les contributions portant sur cette période, et je renonce à résumer les présentations très érudites des fouilles à Agaune, faite par Alessandra ANTONINI et l’exposé richement documenté sur le trésor de l’abbaye, réalisé par Pierre-Alain MARIAUX : sans l’appui iconographique, elles perdraient trop de leur substance. Que tous ces chercheurs me pardonnent ce choix qui ne porte, bien sûr, aucun jugement sur la qualité de leurs travaux !
1. Bruno SUDAN, de l’université de Fribourg en Suisse, a présenté un grand projet collectif de recherche, qui consiste à retracer la diffusion du récit de la Passion de Saint Maurice et de la Légion Thébaine du VIe au XVIe siècle. En effet, l’édition de référence, préparée par B. Krusch, ne tenait compte que de 17 manuscrits, pour la version écrite par Eucher de Lyon, et de 26 témoins pour la Passion de l’auteur anonyme. Depuis, le nombre de textes a considérablement augmenté : aujourd’hui, nous connaissons 58 manuscrits pour le texte d’Eucher et 127 témoins pour la version anonyme. Ces chiffres remettent en cause la faible attention dont la version anonyme fut pendant longtemps victime : son succès était considérable, et les historiens doivent désormais tenir compte de ce fait, même si seule une collation de l’ensemble des témoins permettrait de savoir dans quelle mesure les deux versions sont éventuellement contaminées ; la multitude des « incipit » dans les manuscrits incite, à ce sujet, à la prudence. Ensuite, l’intervenant a dressé un tableau de la diffusion des Passions de saint Maurice : du VIIIe – Xe siècle, on constate une diffusion vers les régions du Nord et une présence à Saint-Gall et à Reichenau. Ensuite, au XIe siècle, les manuscrits apparaissent dans le Sud, comme l’attestent des textes de Turin et de la Toscane. Le XIIe siècle est marqué par un très grand nombre de copies qu’on trouve dans des lieux aussi éloignés que Saint-Bertin, Saint-Omer et même en Hongrie, et les XIIIe - XVe siècles semblent être marqués par beaucoup de copies provenant du sud de l’Allemagne et des régions mosellanes. Enfin, Bruno Sudan expliqua que le groupe de Fribourg travaille actuellement sur le stemma dont il espère présenter les premiers résultats dès l’année prochaine.
2. Louis HOLTZ, de l’IRHT, a consacré sa communication à la lettre qu’Eucher, l’auteur de la première Passion de saint Maurice, a adressée à Salvius, certainement évêque d’Octodurum (aujourd’hui Martigny), comme l’intervenant l’a montré. En s’appuyant sur le manuscrit le plus ancien, Paris, BNF, lat. 9550, provenant de Lyon et datant du VIe/VIIe siècle, qui contient à la fois la Passion et la lettre, il a apporté des arguments qui rendent très probable l’authenticité de la lettre : d’une part, le post-scriptum reflète les conventions antiques de la correspondance, et, d’autre part, le manuscrit de Paris n’est pas véritablement un légendier, car il ne regroupe pas les textes hagiographiques à des fins liturgiques, mais rassemble les œuvres d’un même auteur. Nous pouvons donc retenir l’information la plus précieuse de ce texte qui porte sur l’organisation du culte de saint Maurice et de ses compagnons avant la refondation de l’abbaye en 515 : en effet, dès 450, les saints y étaient vénérés, et leur culte avait sans doute déjà descendu le Rhône pour s’implanter à Lyon.
3. Anne-Marie HELVETIUS, de l’université Paris VIII, s’est intéressée à l’histoire de l’abbaye Saint-Maurice au haut Moyen Âge. Elle a d’abord précisé qu’on ne sait pas avec exactitude à quoi ressemblait le premier sanctuaire fondé par Théodore après sa découverte des Thébains. Puis, elle a analysé la refondation de l’abbaye sous Sigismond en 515 et montré que cette initiative était originale sur le plan politique et symbolique : la « laus perennis » n’était pas un simple exercice ascétique, mais une prière dont le monde extérieur devait également profiter. Il s’agissait ici d’une synthèse entre plusieurs courants de pratique et de conceptions de prière, et en réconciliant ainsi prière publique et prière privée, Sigismond voulait renforcer l’unité de son royaume. En présentant ensuite les principaux documents et les travaux récents qui leurs sont consacrés, l’intervenante a analysé le « Vie des abbés d’Agaune », écrite très probablement durant les années 534, après une période de trouble ; le texte cherche entre autres à minimiser le rôle de Sigismond dans la refondation de l’abbaye afin de ne pas déplaire aux futurs souverains. En effet, vers le milieu du VIe siècle, la communauté de Saint-Maurice a connu quelques difficultés, car la « laus perennis » était de moins en moins comprise : pour Grégoire de Tours, c’était une forme de pénitence car Sigismond était coupable de meurtres. De plus, le travail manuel qui commençait à s’imposer dans les règles communautaires, mettait en cause le concept d’une prière sans fin. Jusqu’au VIIIe siècle, les frères ont donc dû lutter – entre autres avec des prérogatives royales et aussi des faux, semble-t-il – afin de maintenir leur liturgie particulière.
4. En interprétant la « Vie des Pères du Jura » et en la confrontant à d’autres documents comme la Vie de saint Avit et différents textes de Grégoire de Tours, Alain DUBREUCQ, de l’université Lyon III, a essayé d’élaborer un réseau de communautés avec lesquelles l’abbaye Saint-Maurice d’Agaune entretenait des échanges et par lesquelles elle était influencée. En effet, certains problèmes – le mode d’élection des abbés, le sacerdoce et l’autorité – évoqués dans la Vie des Pères jurassiens qui fut écrite, sans doute, dans la première moitié du VIe siècle, mais aussi des épisodes comme celui du voyage de saint Romain qui évoque le problème de la pureté des moines et qui fait écho aux tensions entre le monde monastique et l’épiscopat, rendent très probables des relations, des échanges et même, dans certains cas, une filiation étroite entre les communautés de Saint-Maurice, Saint-Claude, d’autres monastères du Jura, l’épiscopat de Genève, le monastère de l’Ile-Barbe à Lyon et peut-être même celui de Lérins. Ces relations pouvaient cependant être tendues : il semble que les particularités liturgiques de Saint-Maurice – la « laus perennis » – soit une des sources de ces désaccords.
5. Le Père Bernard DE VREGILLE, de l’Institut des Sources Chrétienne, CNRS, a analysé la tradition manuscrite de la Vie des abbés d’Agaune. En reprenant l’histoire de la recherche, l’intervenant a montré que le Jésuite Jean-Pierre Chifflet, au XVIIe siècle, avait copié, à partir d’un manuscrit de Saint-Jean de Besançon aujourd’hui perdu et qui devrait dater du VIIe siècle, une Vie des abbés d’Agaune, une chronologie des douze premiers abbés et un long poème sur saint Probus, moine-prêtre à Agaune, composé par un certain Pragmatius. Faute de moyens financiers, le Père Chifflet ne put jamais publier son travail. Fragmenté après sa mort et conservé aujourd’hui, pour l’essentiel, à Bruxelles (à la Bibliothèque Royale et à la Bibliothèque des Bollandistes), son manuscrit n’a été utilisé que partiellement par les éditeurs modernes.
6. Alain RAUWEL a examiné le culte de saint Maurice en Bourgogne ducale. On considère comme la première attestation du vocable de saint Maurice celle d’un sanctuaire à Saumur dans l’Auxois qui a pris, par la suite, le patronage de saint Jean. Elle devrait dater du VIe siècle, mais l’intervenant a signalé le caractère aléatoire de cette attestation très ancienne et proposé une reprise complète du dossier. Pour se retrouver sur un terrain plus sûr, A. Rauwel s’et tourné vers Saint-Bénigne de Dijon, dont l’abbatiale portait originellement un double patronage, et vers Saint-Germain d’Auxerre, où le culte pourrait être lié à Willicaire, abbé de Saint-Maurice, évêque de Sion et archevêque de Sens au VIIIe siècle. Si le culte mauricien est ainsi attesté dans quelques hauts lieux et si l’empreinte de saint Maurice reste très présente à l’époque clunisienne, il n’en est pas de même en ce qui concerne sa présence au niveau paroissial. Ici, les attestations sont beaucoup plus rares, et ce malgré la présence des reliques. Cette apparente faiblesse pourrait s’expliquer par l’absence de volonté politique. Aucune autorité n’a, semble-t-il, eu le besoin de chercher une légitimation dans un culte fondateur ancien comme celui de Maurice (ou même celui de Sigismond). L’engagement de l’évêque Willicaire pour le chef thébain fut trop ponctuel et personnel pour avoir des effets durables (un peu comme à Angers avec Eusèbe Brunon ; cf. la communication n° 10).
7. Nathanaël NIMMEGEERS, de l’université Lyon III, a consacré sa communication au culte de saint Maurice dans le diocèse de Vienne au haut Moyen Âge. D’abord, il a montré que l’implantation du culte de saint Maurice est, ici, très tardive. Le siège épiscopal fut d’abord sous le vocable des Maccabées, et c’est seulement au début du VIIIe siècle, après l’épiscopat d’Eoalde, que l’Eglise de Vienne semble prendre le nom de saint Maurice, au moment où l’on ajouta un oratoire dédié au chef thébain au groupe cathédrale (cependant, même à cette époque, le vocable primitif restait en usage). Le patronage de Maurice semble d’autant plus faible que celui du Sauveur apparut dès la fin du IXe siècle, probablement pendant l’épiscopat d’Adon ; originaire du Gâtinais et formé en Germanie, il n’était manifestement pas très intéressé par le culte mauricien. Seule l’époque bosonide à Vienne (879-887) marque finalement un moment fort pour la vénération de saint Maurice, certainement pour deux raisons : d’abord, Boson voulait mettre la main sur l’abbaye Saint-Maurice, et ensuite, c’est l’aspect militaire qui semble avoir séduit. A partir du Xe siècle, le vocable de saint Maurice est à nouveau concurrencé par d’autres patronages, mais ne disparaît jamais : associé au saint Sauveur, le vocable de Maurice garda son importance sous Hugues d’Arles, puis disparut progressivement au moment où les Ottoniens associèrent le culte du Thébain à leur règne, avant de revenir en force au début du XIIe siècle, quand on a commencé écrire une nouvelle légende : on aurait trouvé la tête de Maurice dans le Rhône où il serait tombé après sa décapitation à Agaune. On voulait sans doute ainsi justifier la présence du chef du soldat dans la ville de Vienne, afin de se présenter comme lieu où on conservait les têtes des martyrs (à côté de celui de Maurice, on y gardait aussi ceux de Féréol et de Julien).
8. François DEMOTZ, de l’Université de Lyon III, s’est interrogé sur la question de savoir si saint Maurice et son abbaye étaient identitaires pour les rois de Bourgogne, question qui paraît évidente, mais qui n’avait été, jusqu’ici, guère abordée. En s’interrogeant sur la place de saint Maurice dans l’action royale et comme patron du pouvoir royal, il a exploré l’utilisation des reliques, le rôle de la fête du saint et la place respective des différents lieux dédiés aux martyrs thébains. F. Demotz a mis en évidence que le patronage devenait, au cours des règnes des Rodolphiens, de plus en plus discret. Inscrit dans la tradition régalienne bourguignonne, le culte s’avère surtout essentiel quand il est nécessaire de fixer un nouveau pouvoir et de définir une nouvelle identité. Rodophe Ier s’est donc fait couronner auprès de saint Maurice, acte fondateur pour la dynastie et, par la suite, ses successeurs ont, autant que la documentation l’atteste, passé toutes les fêtes du saint à Agaune. Mais sous l’influence d’Adélaïde Bourgogne, deuxième épouse d’Otton Ier, et Odilon, abbé de Cluny, l’importance du culte mauricien déclina dans la spiritualité rodolphienne : le lien identitaire avec le saint devint nettement moins important, d’autant plus qu’il était à partager avec l’empereur, car les Ottoniens ‘brouillaient’ l’image de Maurice pour les Rodophiens, et déplaçaient le centre du culte vers l’est. Le patronage officiel du roi et de son pouvoir à Agaune avait alors tendance à s’effacer devant un lien plus personnel mais non exclusif entre les Rodolphiens et saint Maurice au fur et à mesure que ce dernier devenait un saint impérial.
9. Laurent RIPART, de l’Université de Savoie, a examiné le processus de la réforme canoniale à Saint-Maurice (XIe – XIIe siècle), qui était particulièrement long et erratique : les chanoines de l’abbaye, qui était pour les Rodolphiens une sorte de chapelle royale, ont dû s’y reprendre à quatre reprises. Dans un premier temps, au début du XIe siècle, ils ont cherché à émanciper l’abbaye de la tutelle royale, en faisant notamment résilier l’abbatiat laïc des rois de Bourgogne. Cette phase s’inscrit globalement dans la réforme des chapitres canoniaux qui fut particulièrement vive dans la Bourgogne rodophienne de la fin du Xe siècle, notamment en raison de l’influence ottonienne. Toutefois, les résultats étaient mis en question du fait que l’évêque de Sion obtint l’abbatiat de Saint-Maurcie, en 1032, au moment où la dynastie rodophienne s’est éteinte. La deuxième phase de la réforme est donc caractérisée par les efforts des chanoines de se soustraire de l’influence épiscopale. Elle fut couronnée de succès en 1050 par un grand privilège pontifical donné sur l’initiative conjointe de Léon IX et d’Henri III, qui visait à restaurer l’exemption de l’abbaye en la plaçant sous protection impériale, au sein de la « Reichskirche » salienne. La troisième phase de la réforme correspond à la crise suscitée par la Querelle des Investitures. Etant donné que l’anti-roi germanique Rodophe de Rheinfelden s’était emparé de l’abbaye vers 1076, la maison canoniale se trouva au centre du conflit entre Grégoire VII et Henri IV. Lors de cette nouvelle sécularisation – après Rodophe, les comtes de la Savoie occupèrent l’abbatiat –, une partie des chanoines quittèrent alors l’abbaye afin de vivre selon la règle de saint Augustin, à Abondance. La quatrième phase, enfin, débuta en 1128, avec la résiliation de l’abbatiat laïque d’Amadée III de Maurienne-Savoie et l’introduction de la règle augustinienne. En deux siècles, Saint-Maurice – d’abord une maison canoniale très ‘politique’, une sorte de ‘Hofkapelle’ rodolphienne –, a donc gagné un réel prestige spirituel : la transformation était profonde !
10. Guy JAROUSSEAU, de l’université catholique d’Angers, s’est intéressé au rapport entre saint Maurice et Angers où la cathédrale est dédiée au chef thébain. Les manuscrits attestent de la place du saint au cœur d’une tradition se réclamant de saint Martin. Ce dernier aurait ramené d’Agaune des ampoules remplies à moitié du sang de saint Maurice, que l’on trouve, au XIIe siècle, à Angers, Tours et Candes. Au centre de l’étude de G. Jarousseau se retrouva Eusèbe Bruno, évêque d’Angers au XIe siècle, qui s’appelait au début et à la fin de son épiscopat Brunon, nom très répandu en Bourgogne, et lors du pontificat Eusèbe. Sa vénération pour saint Maurice se manifesta non seulement par un voyage à Agaune d’où il ramena des reliques du saint thébain Innocent, mais aussi par sa négligence des cultes d’Aubin et de Maurille, deux importants saints locaux. Dans une enquête quasi policière, s’appuyant sur différentes traditions manuscrites à Autun et Angers, l’intervenant a montré que l’évêque venait certainement d’Autun et que son épiscopat a été décisif pour lancer le culte de saint Maurice à Angers.
11. Esther DEHOUX, de l’université de Poitiers, a intitulé sa communication « Le légionnaire et le souverain. Culte de saint Maurice et pouvoir central dans le royaume franc (VIIIe-XIIIe siècle) ». Elle avait pour objectif d’équilibrer l’image très répandue du chef thébain, qui l’associe trop exclusivement à l’Empire ottonien. En s’appuyant sur les témoignages littéraires et iconographiques, Esther Dehoux a montré que les récits de la passion de Maurice étaient amplement recopiés et diffusés dès le VIIIe siècle, inspirant par là d’autres textes qui célèbrent l’exemplarité des saints d’Agaune, comme les chroniques et les chansons de croisade. Attesté dans l’iconographie dès le IXe siècle, le « primicerius » de la légion est une figure régulièrement retenue pour orner les murs des sanctuaires et les folios des manuscrits. Ces représentations ne retiennent, de manière générale, pas la mise à mort du saint, mais elles insistent sur le lien étroit qui l’unit au souverain. Saint Maurice est donc associé, en Francie occidentale, et surtout dans les régions septentrionales, à la victoire militaire du roi. Il permet de rappeler que le guerrier a vocation à obéir à son souverain, mais aussi d’exhorter celui-ci à gouverner en fonction de la volonté divine.
12. Christian LAURANSON-ROSAZ, de l’université Lyon III, a intitulé sa communication « L’aristocratie vecteur du culte de saint Maurice d’Agaune : l’exemple auvergnat du lignage de Montboissiers (Xe-XIIe siècle) ». Après avoir exposé quelques considérations sur l’anthroponymie nobiliaire des hautes époques, rappelant surtout que le nom est une marque éminente de la noblesse et un élément majeur de la « conscience de classe » aristocratique, l’intervenant s’est penché sur la dynastie des Montboissiers et leur dévotion particulière pour saint Maurice. Connus dès le Xe siècle comme l’un des grands lignages aristocratiques d’Auvergne, ils portaient de manière continue et presque exclusive le nom de Maurice. L’un des titres de gloire de la famille était la fondation de l’abbaye piémontaise de Saint-Michel-de-la-Cluse, au débouché du col du Mont-Cenis. Les routes des pérégrinations ‘michaeliennes’ des Montboissiers qui ont croisé celles de la diffusion du culte de Maurice, font penser que l’adoption de ce nom chez eux ainsi que leur « mauriciofolie » persistante sont, au moins en partie, liées à des motivations cultuelles.
13. Dans une communication qui dépasse légèrement notre cadre chronologique, Claude ANDRAULT-SCHMITT, de l’université de Poitiers, s’est intéressée au culte de saint Maurice à Tours et à sa signification politique. En effet, depuis Grégoire de Tours, et peut-être depuis saint Martin lui-même, les reliques de saint Maurice et donc son culte étaient largement répandus dans les pays ligériens. Les vocables l’attestent – la cathédrale de Tours fut consacrée à saint Maurice – et les légendes rapportent que Martin aurait coupé la terre à Agaune pour recueillir le sang du martyr, et que Grégoire de Tours aurait trouvé des reliques de Maurice dans l’église métropolitaine ; leur origine semblait alors incertaine déjà au Ve siècle. En s’appuyant sur une riche documentation – avec un accent fort sur les vitraux du XIIIe et XIVe siècles –, l’intervenante a montré que Maurice restait aussi par la suite très présent dans la vie cultuelle de la Touraine, malgré un autre saint dont le culte montait en puissance à l’époque de Louis IX : en effet, à un moment où le roi éprouva une forte vénération pour le chef thébain, qui restait étroitement associé à l’idéologie royale, l’archevêque et ses chanoines de Tours cherchaient à substituer à ce culte celui de l’évangélisateur légendaire, Gatien.
14. Philippe GEORGE, Conservateur du Trésor de la Cathédrale de Liège, n’a malheureusement pas pu assister au colloque, mais sa communication a été lue par Monique Paulmiers-Foucart. L’exposé portant sur les Thébains en Pays mosan, tous les participants ont pu admirer des images des reliquaires et d’autres objets sacrés car, si le culte des Thébains en pays mosan est amplement attesté dans les textes, dans les dédicaces et dans les obituaires et si les témoignages sont souvent très anciens – on pense à Grégoire de Tours, qui évoque Xanten et Cologne –, il se manifeste ici surtout à travers la vénération des reliques. Une recension de toutes les attestations semble, à l’heure actuelle, presque impossible, mais les exemples analysés mettent en évidence le fait que le culte s’adresse, pour l’essentiel, à l’élite de la société et qu’il véhicule une idéologie impériale.
15. Paul BERTRAND, de l’IRHT, n’a malheureusement pas pu participer au colloque, mais sa communication, portant sur « Les reliques à Magdebourg » a été lue par Anne Wagner. En analysant le trésor de l’abbaye de Magdebourg, fondée en 938 et élevée en siège métropolitain en 968, l’auteur a montré qu’on conserva beaucoup de reliques d’origines italiennes ; leur présence s’explique en grande partie par les voyages des empereurs dans la Péninsule. Parmi les autres reliques vénérées dans l’abbaye saxonne, il faut mentionner des saints lotharingiens comme Géry, transféré de Cambrai, et, bien sûr, saint Maurice : Otton Ier demanda, pour la fondation de Magdebourg, ses reliques, mais il ne reçut ‘que’ celles d’Innocent, un autre légionnaire thébain. Toutefois, il parait improbable que le monastère ait pu être consacré au célèbre chef de la légion sans qu’on y conserve quelques morceaux de son corps. En effet, la documentation textuelle des translations de Maurice en Saxe s’avère très pauvre, mais on ne doute pas, aujourd’hui, qu’il y en ait eu plusieurs, comme celle de 1008, sous le règne d’Henri II. D’autres compagnons de la légion thébaine furent également transférés dans le sanctuaire saxon, qui diffusa ensuite ces reliques à d’autres églises germaniques comme celle d’Halberstadt. Maurice est ainsi devenu un saint impérial, protecteur de l’Empire, fonction qui fut encore renforcée par la vénération de la sainte lance attribuée – entre autres – au chef thébain. Très occupés par des guerres sur la frontière de l’Est contre les peuples slaves et les Hongrois, les Ottoniens voulaient, par là, renforcer l’idée de la lutte victorieuse et de la mission, et dans ce contexte Magdebourg devenait ainsi, en partie grâce à son trésor de reliques, une nouvelle capitale politique, ecclésiastique et spirituelle : une « Roma secunda » ou une Aix-la-Chapelle ottonienne.
16. J’ai, pour ma part, analysé le culte des Thébains à Trèves, qui a connu son véritable essor au XIe siècle, au moment où les clercs de la métropole mosellane avaient découvert deux textes, la Passion des martyrs d’Amiens, Fuscien, Victoric et Gentien (écrite entre 600 et 800), et la « Vita IIIa Hildulfi » (rédigée dans la première moitié du XIe siècle). À partir de ces écrits, qui contiennent de légères contradictions, l’hagiographe d’Agrice, qui écrivit, entre 1050 et 1072, une Vie sur le quatrième évêque de Trèves, a élaboré une version cohérente d’un massacre à Trèves au IIIe siècle qui aurait été commis par le persécuteur Rictiovare et dont les victimes étaient à la fois des chrétiens de la ville et des soldats de la légion thébaine. En 1072, les chanoines de Saint-Paulin ‘découvrirent’ enfin les corps des principaux représentants de ces martyrs, ‘découverte’ qui fut, en réalité, une grande mise en scène. Elle leur a permis de s’imposer, dans la ville mosellane, comme véritable centre pour la vénération des martyrs, car d’autres abbayes revendiquèrent également la possession de quelques unes de leurs reliques, et elle a permis au siège métropolitain – Saint-Paulin était une abbaye épiscopale – de défier Cologne où Annon II ne cessait de promouvoir le culte des Thébains.
17. Dans une communication intitulée « La lance de saint Maurice selon la légende de Godefroy de Viterbe, Edina BOZOKY, de l’université de Poitiers, a présenté une fine analyse des vers du poème « Panthéon » qui portent sur l’un des insignes impériaux les plus prestigieux, la lance (Godefroy de Viterbe, « Panthéon », Particula XXVI, MGH SS 22, pp. 273-274). Vers la fin du XIIe siècle, son auteur, Godefroy, a identifié cette lance avec celle de saint Maurice en ajoutant qu’elle a été renforcée par un clou de la crucifixion. Ainsi toujours garante de victoire pour l’empire dans ces guerres, elle aurait d’abord appartenu à Boson, roi d’Arles, qui, grâce à elle, remportait toutes les batailles. Mais dans un accès de fureur, il aurait blessé un évêque lors de l’office nocturne de Noël. Cet acte aurait provoqué la révolte des autres prélats qui vainquirent alors le roi dans une bataille. Humilié, Boson aurait donc renoncé au pouvoir en s’adressant à Otton Ier pour lui transmettre son royaume et la lance de Maurice. Ce récit – par ailleurs anachronique – se distingue, de manière significative, d’autres légendes autour de la sainte lance, rapportées notamment par Liutprand de Crémone, qui la rattachent non seulement à Maurice, mais aussi à Constantin ou encore à Longin. Il fait sans doute partie de la propagande de Frédérique Barberousse concernant l’appartenance de la Bourgogne à l’empire.
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Voir aussi:
http://www.hist.uzh.ch/projekte/mauritius.html
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