lundi 8 septembre 2008

Hagiographie à l'IMC 2008

Compte rendu de quelques communications centrées sur l’hagiographie à l’International Medieval Congress de Leeds de 2008 par Sylvie Joye.


Session 204

Hagiography and Cult of the Martyrs I : Martyrs and Kingship


Anne Wagner, « The Propagation of the Cult of St Maurice »

Dans cet aspect furent traitées successivement trois périodes distinctes du culte de saint Maurice :

- le haut Moyen Âge (débuts du culte ; royaume de Bourgogne ; la sainte Lance)

Dès le très haut Moyen Âge, Maurice joue un grand rôle, déjà lié à la royauté : dans les Gesta Dagoberti, ce sont Martin et Maurice qui sauvent l’âme de Dagobert. Anne Wagner souligne aussi le rôle de Boson, premier roi non carolingien à l’ouest, qui promeut le culte royal de Maurice, profitant du fait que Saint-Maurice se situe dans son royaume. Il fait faire un reliquaire pour la tête de Maurice et le donne à la cathédrale Saint-Maurice de Vienne. La Lance est également une relique liée à Longin ou Constantin, mais aussi à Maurice, qui est liée à la royauté. L’image de la royauté donnée par la lance est classique dans le monde barbare et elle se perpétue par la suite : Henri Ier demande la Lance à Rodolphe de Bourgogne. Il y a également un culte anglo-saxon de la Lance.

- l’Empire (Otton Ier ; Henri II)

Maurice est considéré comme un protecteur du royaume de Germanie et le transfert des reliques à Magdebourg est une étape importante de l’affirmation de son culte. L’époque de Henri II voit se multiplier les monastères dédiés à saint Maurice.

- le renouveau du XIIIe siècle (France ; Empire, particulièrement Metz)

En France, le renouveau du culte de Maurice est exprimé par la fondation par saint Louis du chapitre Saint-Maurice de Senlis. Les reliquaires et les représentations de Maurice se multiplient bien davantage dans l’Empire au XIIIe siècle. L’exemple principalement développé est celui du porche de la cathédrale de Metz, qui est une des rares à montrer une bataille entre païens et chrétiens, sans doute en référence aux croisades, ainsi que le martyre de Maurice, très rarement représenté.


Anne-Marie Helvétius, « St Denis of Paris : Origins of the Cult »

Anne-Marie Helvétius a présenté les premiers résultats d’un travail plus vaste qu’elle entend mener sur l’ensemble des sources relatives à saint Denis. Sa démarche ne vie pas à essayer de mettre au jour l’identité du ou des saint(s) Denis mais à mettre au jour les raisons pour lesquelles on a décidé de construire les textes hagiographiques du corpus dionysien selon telle ou telle construction et en y intégrant tel ou tel détail.

Les textes qui sont envisagés sous cet angle sont la Vie de Geneviève (concurrence entre cultes de Denis et de Geneviève qui influe sur l’évocation, minime, de la basilique) ; la 1ère Passio (Beatae) (relations entre l’évêque et les clercs et statut de la basilique en question) ; la 2ème Passio (Beatam et Gloriosam) (certains détails ajoutés dans cette Vie, qui intègre des éléments concernant l’Aréopagite, et la volonté d’insister sur la double apostolicité Pierre/Paul, le filioque, et l’aspect céphalophore du saint font penser à une nouvelle figure donnée au saint, parallèle non seulement au contexte mais aussi à des personnalités de l’époque de rédaction, la 2e ½ du VIIIe siècle. Un travail de comparaison de la Passion de Denis avec d’autres textes hagiographiques, notamment ceux rédigés à Auxerre, doit permettre d’étayer les hypothèses avancées sur ce dernier point).


Pavlina Rychterova, Étude sur la Vie de Constantin le Philosophe et les légendes pannoniennes

(le sujet initialement prévu sur Adalbert a été abandonné)

L’exposé de Pavlina Rychterova est centré sur l’étude des liens entre les idées de fondation, d’élaboration de la langue et du pouvoir religieux. La convergence de ces trois thèmes dans les légendes pannoniennes lui semble primordiale : l’importance prise par ces thèmes dans l’hagiographie de la chrétienté orientale tiendrait en grande partie liée à la diffusion de celles-ci. Constantin apparaît de plus en plus clairement comme un personnage fondateur du point de vue de la religion mais aussi de l’alphabet. La relation entre langage et christianisation est très forte. Les réécritures accentuent de plus en plus ces aspects selon des visées théologiques mais aussi sociales et politiques. Il s’agit notamment de montrer le pouvoir du patriarche de Constantinople (et non de Rome) sur la chrétienté orientale. On retrouve les mêmes aspects dans l’hagiographie arménienne, dont il faudrait étudier les liens exacts avec les légendes pannoniennes, tout comme le rôle de la diaspora arménienne dans l’empire byzantin.

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Session 304

Hagiography and Cult of the Martyrs II : The Renewal of the Cult of Early Martyrs in the Middle Ages


Michèle Gaillard, « The Rictiovarus’ Cycle : The Manuscript Evidence (9th-11th Centuries) »

Rictiovarus est un persécuteur dont le nom est lié à plusieurs martyrs du nord de la Gaule : Crépin et Crépinien (Soissons) ; Fuscianus, Victoricus et Gentianus (Seins-en-Amienois) ; Justus (St-Just-en-Chaussée, près de Beauvais) ; Quintinus (St-Quentin) ; Valerius et Rufinus (liés à Corbie. Paschase Radbert rédige leur Passion) ; Macra (près de Bazoches) ; Lucianus ; Piatonus.

Michèle Gaillard présente le début d’une étude prometteuse sur les passionnaires les plus anciens pour étudier le succès et l’extension géographique de ces passions. Elle indique également l’étude comparée à venir de ces textes pour reconstituer un stemma.

Le succès particulier de Crépin et Crépinien et celui de saint Quentin s’expliquent par l’importance de l’évêque de Soissons et celle de l’abbaye de Saint-Quentin. Cet exemple marque aussi la victoire des saints urbains sur les saints ruraux. On retrouve ces saints dans des Vies autres que la leur (notamment dans les Passions des autres victimes de Rictiovarus). Michèle Gaillard se propose de continuer le travail sur ces textes notamment en examinant le vocabulaire et la structure des phrases et le contexte manuscrit, pour les récits d’invention et de translation.


Klaus Krönert, « The Martyrs of Trier : Origins and Development of a Legend, 10th-12th Centuries »

C’est dans la 2e ½ du XIe siècle qu’est développée dans les sources hagiographiques de Trèves la mention du martyr de la légion thébaine. Pour évoquer ce martyr, ce sont les textes en rapport avec les victimes de Rictiovarus qui sont utilisés comme modèle, en particulier la Passion de Fuscianus, Victoricus et Gentianus. On identifie à la fin du Xe siècle des reliques anonymes se trouvant à Moyenmoutier comme celles de la légion thébaine. Dès lors on cherche de plus en plus ardemment le lieu du martyr à Trèves, et cette recherche devient un enjeu de pouvoir dans la cité. Sainte-Marie devient tout d’abord Sainte-Marie-des-Martyrs. Mais les chanoines de Saint-Paul veulent montrer par la suite que ce sont eux qui ont les premiers martyrs : en 1072 on feint de découvrir une plaque qui prétend que Rictiovarus aurait fait tué à Trèves la légion thébaine ainsi qu’un grand nombre d’habitants chrétiens de la ville. Les chanoines développent alors l’idée selon laquelle les reliques se trouveraient dans la crypte Saint-Paul.

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Session 306

Parrhesia and the Rhetoric of Free Speech III : Politics, Authority and Truth


Mayke de Jong, « From Admonitio to Increpatio : Paschasius Radbertus’ Epitaphium Arsenii »

Mayke de Jong s’intéresse à l’Epitaphium Arsenii dans l’optique d’y découvrir ce quoi était alors acceptable comme façon de blâmer. L’auteur, Paschase Radbert, tout comme Wala qui est le héros de son œuvre, blâme en effet des princes et critique la façon dont sont menées les affaires de son temps. Pour le faire d’une façon acceptable, il prend la posture de Jérémie : Paschase est d’ailleurs plus directement identifié à Jérémie que Wala.

Pour mettre en valeur ces aspects, Mayke de Jong revient tout d’abord sur l’importance des surnoms, bien connue pour l’époque carolingienne et mise en scène très clairement dans la 2e partie de l’Epitaphium Arsenii. Wala est assimilé à Arsène (comme il l’était dans la réalité : on a conservé des lettres où ses moines le nommaient ainsi. C’est la confabulatio monastique). Il est le plus doux et le meilleur des abbés, mais la dureté des temps en a fait un Jérémie nous dit Paschase : c’est un fardeau qui est donné par Dieu. L’usage des surnoms permet ainsi de lier le monde profane à la transcendance par le biais de noms appartenant à un prestigieux passé chrétien.

Ainsi, il est plus aisé de mettre en scène le saint comme un personnage qui blâme et conseille, sans trahir et sans offenser (alors que la réputation de Wala était sulfureuse en la matière : il avait été banni en 814 et en 831). Inlassablement sont répétées certaines valeurs : l’amour de l’Église, la stabilité, la paix, la fidélité à l’empereur… Paschase Radbert choisit des mots dont il sait qu’il vont interpeller ses contemporains : la fidélité et la stabilité. L’importance donnée à la familiaritas du personnage avec le souverain est un élément qui induit que le personnage a le droit de parler et d’être entendu, qu’il fait partie d’un monde privilégié, comme le faisait déjà l’usage d’un surnom.

Afin d’éclairer la posture de Paschase, la signification et l’expression du blâme et du discours moral de l’époque, Mayke de Jong a résolu d’étudier autant que faire se peut le parallèle entre l’Epitaphium Arsenii et le commentaire à Jérémie de Paschase Radbert. Malgré l’importance de ces surnoms, de nombreuses précautions et du parallèle biblique, elle rappelle cependant que pour elle ces aspects ne signifient pas que cette œuvre ne puisse pas nous donner de bonnes informations sur les années 820 et 830.

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Session 1625

Texts and Identities X : Death and Distinction in Merovingian Texts


Sylvie Joye, « The So-Called Merovingian Saints’ Testamenta »

Nous disposons d’une série de textes, une dizaine, dont la plupart semblent être des réécritures, des interpolations ou des faux (mais ce n’est pas toujours le cas) qui se présentent comme des actes par lesquels un saint ou une sainte a donné tout ou partie de ses biens à son diocèse ou à son monastère. Ces textes, appelés improprement testaments, sont le plus souvent des donations, appelées improprement testaments. Plus que ce caractère inapproprié du nom donné à ces actes, il est surtout intéressant de noter la multiplication (il s’agit souvent d’actes créés ou retravaillés plusieurs siècles après l’époque mérovingienne) et le changement de la forme et du contexte documentaire des ces « testaments ». À travers plusieurs exemples (Radegonde, Burgundofara, Remi, Yrieix, Aldegonde…) on remarque que les textes que l’on trouvait dans des Histoires (dans Grégoire de Tours pour Radegonde) ou sous forme hagiographique sont de plus en plus systématiquement, à partir du XIe siècle en particulier, présentés sous une forme diplomatique (même le testament « moral » de Radegonde que l’on retrouve copié à part dans les archives d’institutions pictaviennes). Quant à ceux qui revêtaient déjà une forme diplomatique à l’origine, on voit se multiplier sur leurs nouvelles copies les signes de validation (exemple de Burgundofara). Les testaments d’Aldegonde quant à eux sont copiés sur des documents mixtes, où on retrouve aussi bien la Vie de la sainte que son testament, dont les diverses versions évoluent en même temps que le statut du monastère dont elle est la sainte fondatrice, toujours dans la volonté d’assurer le maximum d’autonomie et de revenus aux moniales/chanoinesses.

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