jeudi 18 décembre 2008

Journée d'étude saint Eloi : programme définitif



LA VIE DE SAINT ÉLOI : BILAN ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE




Paris, samedi 17 janvier 2009
Sorbonne, Bibliothèque Boutruche (entrée par la galerie Richelieu, escalier F)

Douai, Bibl.mun., ms 864, fol. 81 v.


Organisation :
Charles Mériaux (Université Lille 3 Charles-de-Gaulle) ; Bruno Dumézil (Université Paris Ouest Nanterre La Défense) ; Stéphane Gioanni (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ; Sylvie Joye (Université de Reims).


Monétaire de Clotaire II puis de Dagobert Ier, devenu évêque de Noyon et Tournai à la mort de ce dernier, saint Éloi (640 † 660) est considéré comme l’une des plus hautes figures de la cour mérovingienne dans le second tiers du VIIe siècle. Mais chacun sait aussi que sa mémoire fut servie par une biographie exceptionnelle que tout historien du haut Moyen Âge est amené à consulter un jour ou l’autre. La Vie se présente comme l’œuvre contemporaine du métropolitain de Rouen, saint Ouen († 684), qui avait longuement fréquenté Éloi à la cour. Au XIXe et au début du XXe siècle, les érudits ne cessèrent de scruter le texte et de discuter cette attribution. De ces vifs débats scientifiques que nourrirent Bruno Krusch (son dernier éditeur), Léon Van der Essen ainsi que le chanoine Elphège Vacandard se dégagea progressivement l’idée que dans sa forme actuelle, le texte avait été profondément remanié à Saint-Éloi de Noyon dans le courant du VIIIe siècle.

Depuis quelques décennies l’intérêt que les chercheurs prennent à l’étude des textes hagiographiques s’est élargi : il ne s’agit plus seulement de trier le vrai et le faux, mais de comprendre de manière plus générale la genèse, les étapes de diffusion et la réception des œuvres. Le moment nous semble propice pour lancer une nouvelle discussion autour de la Vita Eligii dont la traduction d’Isabelle Westeel (2e éd. Noyon, 2006), la notice de Clemens Bayer (Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, 35, 2007, col. 461-524) et la thèse de Christophe Jauffret offrent désormais un solide cadre de réflexion. Cette rencontre entend ainsi faire un point sur un ensemble de problèmes philologiques et linguistiques débattus depuis près d’un siècle (auteur, remanieur, sources utilisées, réception de l’œuvre) à la lumière des découvertes récentes – en particulier de manuscrits dont Krusch n’avait pas eu connaissance. Il s’agira aussi d’examiner les implications que ces observations peuvent avoir sur notre connaissance d’Éloi, de la royauté et de l’épiscopat mérovingien.

Il serait illusoire de vouloir clore définitivement le dossier. Cette rencontre veut donc être un moment de discussion où se confronteront les points de vue de tous ceux qui ont eu à travailler sur la Vita Eligii. Nous souhaiterions qu’elle prenne la forme d’un atelier qui mette aussi l’accent sur des problèmes de méthode dont les participants, doctorants et chercheurs plus confirmés, devraient trouver le meilleur profit.


PROGRAMME DE LA JOURNEE

10h-12h30 — 14h-18h

— 10h : Accueil des participants et introduction

Charles Mériaux (Université Lille 3 Charles-de-Gaulle)
Bruno Dumézil (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Stéphane Gioanni (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Sylvie Joye (Université de Reims)


Présidence
François Dolbeau

— 10h 15 : La Vita Eligii reconsidérée

Clemens M. Bayer (Bonn)

— 11h15 : Hagiographie et rhétorique dans la Vita Eligii

Christophe Jauffret (Université Aix-Marseille 1 Provence)

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Présidence

Martin Heinzelmann

— 14h : Latin écrit et latinophonie en mutation dans et d’après la Vita Eligii

Michel Banniard (Université Toulouse 2 Le Mirail)


— 15h : Le ‘sermon’ de la Vita Eligii

Isabelle Westeel (Conseil régional du Nord Pas de Calais)

— 16h : La Vita Eligii et les données archéologiques : autour de la tombe de saint Quentin

Christian Sapin (CNRS, Centre d’études médiévales, Auxerre)
Michèle Gaillard (Université de Metz)


— 17h : Table ronde conclusive


Organisation

HagHis / Hagiographie et Histoire: atelier français de recherches sur l’hagiographie médiévale —
http://haghis.blogspot.com/

IRHiS / Institut de recherches historiques du Septentrion
CNRS UMR 8529 /Université Lille 3
http://irhis.recherche.univ-lille3.fr/

LAMOP / Laboratoire de médiévistique occidentale
UMR CNRS 8589 / Université Paris 1
http://lamop.univ-paris1.fr/

Contact : charles.meriaux(a)univ-lille3.fr

lundi 17 novembre 2008

Un article sur les sermons du Pseudo-Eloi

A l'heure où la journée d'étude consacrée à la Vie d'Eloi organisée par HagHis approche, vient de paraître un article sur les sermons qui ont été attribués à Eloi et dont James McCune place la rédaction au IXe siècle dans le contexte de la promotion de la pénitence publique :

- James McCune, « Rethinking the Pseudo-Eligius sermon collection », Early Medieval Europe (16/4), 2008, p. 445-476 - Wiley InterScience : http://www3.interscience.wiley.com/journal/121432223/abstract

mercredi 12 novembre 2008

Saint Léger - nov. 2008






La prochaine réunion du groupe de traduction des Vies de saint Léger aura lieu le 22 novembre 2008 en Sorbonne.
Rendez-vous à 9h30 dans la galerie J-B. Dumas, au pied de l'escalier R.










Saint Léger, église de Saint-Léger-sous-
Beuvray

Vie de Didier de Cahors

Traduction de la Vie de Didier de Cahors par le séminaire de traduction de l'équipe "Epigraphie, culture écrite, mémoire et communication" du CESCM à Poitiers

vendredi 7 novembre 2008

L’hagiographie au colloque Texts & Identities XII

Résumés réalisés par Sylvie Joye

La XIIe session du colloque international de doctorants T&I s’est tenue à Auxerre (Centre d’Études médiévales) du 17 au 19 octobre 2008.
Comité scientifique : Fr. Bougard (Paris Ouest Nanterre La Défense), M. de Jong (Utrecht), R. Le Jan (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), R. McKitterick (Cambridge), W. Pohl (Vienne), I. Wood (Leeds). Avec le soutien de la Mission Historique Française en Allemagne.

Nous présentons ici le résumé des exposés présentant des recherches en cours, fondées en tout ou partie sur des sources hagiographiques.

Rutger Kramer (Utrecht, doctorant bénéficiant d’un contrat dans le cadre du projet ANR DFG Hludowicus à la Freie Universität Berlin)
Rutger Kramer compte mettre régulièrement en ligne un état d’avancement de son travail sur son site personnel, où se trouve déjà le mémoire qu’il a consacré aux Gesta Sanctorum Rotonensium.
Il a déjà donné une première présentation de ses travaux dans la première rencontre du groupe Hludowicus qui s’est tenue à Limoges en juin 2008. Outre cette thèse, le projet Hludowicus a également lancé une étude de la crise des années 830 au travers des sources hagiographiques dans la province de Reims (S. Joye, Reims), les provinces de l’est (K. Krönert, Lille), la Bourgogne (S. Shimahara, Paris IV Sorbonne qui compte travailler aussi sur les récits de vision).
Representations of court and emperor in the Vita Benedicti Anianensis : some initial remarks
Le projet de thèse porte sur la représentation de la cour et de l’empereur dans les sources monastiques avant la crise des années 830 et suivantes. L’enquête porte pour l’instant sur la Vita Adalhardi, la Vita Alcuini et la Vita Benedicti Anianensis. Elle prend en compte aussi l’influence des idéaux de la cour et du siècle dans le monde monastique, et la perception du thème de la réforme. La Vita Benedicti Anianensis est en effet la seule source qui associerait clairement Benoît à la réforme. Aniane en 782 est sa seule fondation, puis il passe par Marmoutier et Inda (814-816), avant de mourir à la cour en 821. D’après la Vita, c’est Benoît qui demande à être envoyé à Inda après sa mort alors qu’une lettre de Louis le Pieux indique que c’est l’empereur qui a pris cette décision. Ardo décrit Benoît comme un nouveau venu à la cour quand Louis devient empereur. Un lien symbiotique est créé entre Louis et Benoît : l’empereur dépend de Benoît pour établir l’ordre dans son empire, et Benoît dépend de Louis pour répandre la réforme à travers le monde.
Dominique Iogna-Prat rappelle dans la discussion l’intérêt des propositions faites par Pierre Chastang dans sa thèse (Lire, écrire transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc (XIe-XIIIe siècle), Paris, 2001) sur la réécriture de la Vie au XIIe siècle.
Mayke de Jong annonce qu’elle a achevé sa traduction de l’Epitaphium Arsenii, à paraître dans les mois à venir.

Laurence Leleu (Paris I Panthéon-Sorbonne)
Studying the medieval kin : some reflexions about the word ‘nepos’ in german sources around the year 1000
L’étude sur le vocabulaire de la parenté dans le monde ottonien présentée le 18 octobre par Laurence Leleu a sollicité en bonne part les sources hagiographiques, notamment la Vita Brunonis de Ruotger, la Vita Mathilda Antiquior et la Vie de Thierry par Sigerbert de Gembloux. Dans ces Vies, le terme nepos désigne classiquement le neveu ou le petit-fils. En revanche, on trouve dans d’autres, comme la Vie de Brun d’Egisheim (Grégoire V) le terme de nepos pour désigner Conrad II, lié à un degré de parenté 4:3 (l’auteur parle aussi de consanguineus pour le même personnage). La théorie de D. C. Jackman qui proposait de considérer qu’on ne parlait pas de nepos au-delà d’un rapport 3:2 semble donc devoir être abandonnée. Il faut donc revoir certaines reconstitutions de parentés faites selon ce critère, comme par exemple le lien d’Ulrich d’Augsbourg avec le duc Burchard III de Souabe, évoqués dans la Vita Sancti Oudalrichi. Cet emploi large du terme nepos est spécifique à l’espace germanique, sans doute, propose Laurence Leleu, sous l’influence de la langue vernaculaire. Ce qui est important c’est de pouvoir opposer les parents et ceux qui ne le sont pas. En revanche, on oppose bien oncle et tante paternels aux oncle et tante maternels en Germanie, alors qu’on ne le fait pas en Francie. Ceci semble renvoyer à une attitude réellement différente envers ces personnes selon les espaces. Il est beaucoup moins certain que ce soit le cas pour les cousins éloignés, avec qui on peut avoir une relation forte en Francie occidentale, malgré l’usage indifférencié du terme nepos.

lundi 3 novembre 2008

Travaux de Sébastien Bricout et Stéphane Lecouteux

Stéphane Lecouteux et Sébastien Bricout nous signalent que, dans le cadre de leurs travaux en cours sur les Annales de Flodoard (préparation d’une édition critique avec traduction française, articles sur les différentes traditions manuscrites et la redécouverte du texte par les Humanistes au XVIe siècle), ils comptent rédiger prochainement un article sur :
« Un recueil factice renfermant un dossier historio-hagiographique constitué par Hugues de Flavigny à la fin du XIe siècle : le ms. Montpellier, Fac. Méd., H 151 ».

Et feront une intervention :
« Présentation du projet d’édition critique des Annales de Flodoard de Reims ».
Séminaire organisé par Dominique Barthélemy à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (séance du lundi 19 janvier 2009, à 17h, Sorbonne, escalier E, premier étage).

Stéphane Lecouteux a déjà publié :
« A partir de la diffusion de trois poèmes hagiographiques, identification des centres carolingiens ayant influencé l’œuvre de Dudon de Saint-Quentin », Tabularia « Etudes » n°5 (2005), p. 13-49.
« Les anciens légendiers de Cambrai (Xe–XIIIe siècles) : genèse et parenté avec le Legendarium Flandrense », Liturgie et livres dans l’église du Moyen Âge (Pecia, n°16, octobre 2008).

Colloque de Poitiers - Après-midi du 11 septembre

Résumés réalisés par Sylvie Joye

Jeudi 11 septembre – après-midi


Présidence d’Alain Dierkens

Patrick Henriet – Université de Bordeaux III
Un horizon hagiographique d’opposition au pouvoir. Les milieux monastiques et ascétiques de l’Espagne septentrionale au VIIe siècle

Patrick Henriet cherche à mettre en lumière la façon dont les milieux monastiques et ascétiques de l’Espagne du nord-ouest se sont représentés la notion de pouvoir, à partir de la Vita Fructuosi (BHL 3194), de la Vita Aemiliani de Braulion de Saragosse (BHL 100), des Vitae Patrum Emeretensium et des œuvres de Valère du Bierzo (traités « autobiographiques » et légendier).
Dans l’ensemble de ces ouvrages se dégage une nette opposition à la notion même de pouvoir, alors que dans la réalité, les personnages concernés, auteurs ou acteurs, entretiennent des relations étroites avec le pouvoir, ou l’exercent. Cette opposition à la notion de pouvoir s’explique par la référence omniprésente à un Orient ascétique idéalisé. Les sources espagnoles de l’époque semblent montrer une grande méfiance face aux saints contemporains. Les rédactions de Vies sont de ce point de vue moins nombreuses que dans la Gaule mérovingienne, et il faut noter qu’aucun des grands auteurs espagnols n’a rédigé de Vie.
Deux modèles de sainteté s’opposent : d’un côté l’ars sophistae, l’activité, la référence aux Romains ; de l’autre les exercices spirituels et les saintes œuvres, et le modèle de la Thébaïde. Le modèle « égyptien » de sainteté coexiste parfois dans un même recueil avec le modèle du grand évêque, tel qu’il est décrit dans les Vies des Pères de Mérida. Ainsi, la Vie de Fructueux, métropolitain de Braga, tente de réduire au maximum toute allusion au rôle du saint dans l’Église institutionnelle. Le premier noyau de cette Vie, rédigé vers 670-680, a pourtant été repris dans le légendier de Valère du Bierzo et augmenté au sein des Vies des Pères de Mérida. Le modèle du bon évêque semble être celui de l’évêque qui demeure moine malgré l’obtention (forcée) de cette fonction, tels Honorat et Germain (qui a des accents monastiques même s’il ne fut pas moine). L’état primitif du légendier de Valère (complété au Xe siècle) reprend essentiellement des Vies en rapport avec l’Orient, et non avec Rome. Malgré cette préférence pour le modèle ascétique, Valère est loin d’être lui-même un ascète.
Une même mixité des deux modèles se retrouve entre la personnalité d’Émilien (qui vit dans les montagnes et ne connaît que les huit premiers psaumes, démis de sa charge de prêtre parce qu’il a ruiné son église par ses pratiques d’ascète) et celle du rédacteur de sa Vie, Braulion de Saragosse (qui participe aux grands conciles, aux élections d’évêques, envoie des lettres aux grands, corrige un livre pour le roi).
Seule la continuation ou l’adoption de la vie ascétique justifie pour ces auteurs qu’on se compromette avec le pouvoir, surtout au sein même de l’Église. Dans la réalité pourtant, ils sont actifs dans cette Église et ne remettent pas en cause la hiérarchie du peuple chrétien.

Discussion
La discussion porte sur la nature et l’importance du modèle oriental en Occident. Guy Philippart insiste sur l’importance des textes orientaux au haut Moyen Âge, qui sont les plus copiés (les 56 passions traduites du grec représentent 55% des textes copiés avant 800), largement devant les passions latines (7%). Martin Heinzelmann relativise cet apport oriental : les textes sont retravaillés pour un emploi occidental, et sont toujours copiés incomplets, sélectionnés. Les légendiers privés, qui contiennent de fait essentiellement de tels fragments, sont faits pour la lecture privée, le délassement. Ils ne sont pas faits pour être lus à la fête du saint, et ne peuvent être mis totalement en parallèle avec les récits complets de Vies de saints.
Jean-Marie Sansterre s’interroge sur la figure de l’Orient monastique : est-il conçu comme un passé disparu ou comme un intemporel vaguement contemporain ? Il y a l’idée que la péninsule a été tardivement christianisée, mais que les premiers chrétiens y avaient été des moines, et que les moines étaient originels en Orient. Suite à une demande de Jean-Michel Picard soulignant la parenté du thème de l’abandon d’une militia pour une autre, Patrick Henriet rappelle qu’il est impossible de préciser la provenance éventuelle de passages rappelant Grégoire le Grand ou Sulpice Sévère, à cause des problèmes d’édition propres aux textes espagnols.
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Klaus Herbers – Université d’Erlangen
Reliques romaines au IXe siècle : renforcements ou liaisons avec la papauté ?
Klaus Herbers souligne la valorisation croissante de l’influence pontificale au-delà des Alpes après le traité de Verdun, sensible au travers de la documentation sur les translations de reliques au IXe siècle. Les papes distribuent en effet de plus en plus de reliques à partir des années 760. Ceci amène, consciemment ou non à former une communauté réciproque où le pape et les Francs se retrouvent sous la puissance d’un saint commun. L’envoi de ces reliques augmente surtout à l’époque du pape Paul Ier qui doit faire face aux Lombards. La liste des reliques transférées semble inépuisable (et pose des problèmes de définition : parfois on ne peut distinguer translation de l’élévation ou de l’invention. Entre 1/5 et 1/4 des translations connues concernent des reliques romaines).
Dans la 1ère moitié du IXe siècle, ces reliques sont destinées surtout aux grands monastères, et sont demandées par le roi ou par l’intermédiaire d’une lettre de recommandation émanant du souverain. C’est surtout le cas de Lothaire Ier, qui envoie les reliques prioritairement dans des lieux de frontière, après 843. Charles le Chauve réclame quant à lui des reliques romaines en 877, une fois devenu empereur. À la fin des années 840, le roi breton Nominoé demande à l’abbé de Redon le corps de celui qui a été pape juste après Pierre, Marcellin : on voit par cet exemple que les souverains ne demandent pas le corps de n’importe quel saint (et que lepape n’est pas le seul à dispenser des reliques « romaines »). De véritables trésors de reliques se trouvent à Aix (reliques d’Orient, mais aussi de Rome) ou à Compiègne (notamment les reliques de Corneille, en mai 877).
Les récits de translation affirment que ceux qui ont reçu des reliques à Rome y étaient allés expressément pour cette raison : c’est en réalité fort peu probable quand on examine le reste de la documentation, où la demande de reliques apparaît comme un élément annexe (lettres, chroniques). Ces corps (qui peuvent en réalité être des parties de corps saints) sont confiés à des personnages qui ont accompli une mission politique ecclésiastique, lors de la remise du pallium, pour des refondations d’église, à l’occasion d’un couronnement impérial… Le lien de ces translations avec la production ou la transmission d’écrits est très important. L’envoi de reliques de Gervais et Protais et d’Ambroise en 863-865 à Robert du Mans s’accompagne de l’envoi d’un codex de lettres papales. La première lettre de protection papale à Vézelay est également accompagnée d’une translation de reliques romaines. La combinaison de la protection par l’écrit et de celle par les reliques est la plus importante : elle crée une liaison double avec le pape. Ainsi, la translation des reliques romaines constitue l’élément le plus visible de la multiplication des relations avec Rome. Mais il ne faut pas se laisser tromper par la perspective des rédacteurs de récits de translations : celles-ci doivent être replacées dans un contexte politique plus vaste. Les transferts sont irréguliers dans l’espace et dans le temps, complexes et réciproques, et il faut garder à l’esprit que le pape n’est pas le seul à décider des dons de reliques « romaines » en Occident.

Discussion
Anne-Marie Helvétius interroge Klaus Herbers sur les cas où des reliques précises sont demandées. Quelles raisons président à ce choix ? un culte préexistant, une caractéristique du saint choisi ? Une partie du problème vient une fois encore des récits de translation, qui indiquent que le saint obtenu avait été expressément demandé, sans que cela paraisse forcément refléter la réalité…
Martin Heinzelmann cite un exemple de la difficulté d’obtenir des reliques et des choix éventuels, pas toujours respectés : en 827, Hilduin demande le corps de Grégoire le Grand, à une époque où le pape n’est pas encore favorable à l’envoi des corps depuis la région romaine. Il finit par obtenir non Grégoire, mais saint Sébastien. Le chambellan Libellus, à la même époque, cherche également à obtenir des reliques romaines : il est contraint de trouver un indicateur pour aller avec lui voler de bonnes reliques. Le 2e homme de l’empire peut obtenir des reliques (pas celles demandées), mais le 3e ne le peut déjà plus…
Guy Philippart note qu’il lui semble qu’en ce qui concerne la finalité de la demande de reliques, il existe une lettre du Xe siècle par laquelle un souverain demande des reliques spécifiquement pour partir à la guerre.
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Samantha Herrick – Syracuse University, New York
Le pouvoir du passé apostolique. Exemples normand et périgourdin.
Samantha Herrick revient sur le contexte de rédaction de deux saints présentés comme apostoliques. Les récits cherchant à attester de l’apostolicité de saints fondateurs se multiplient entre le VIIIe et le XIIe siècle. Cette hagiographie apostolique est bien connue et étudiée, mais il s’agit ici de voir en quoi l’apparition et le contenu de ces récits reflète les conflits politiques et les luttes d’influence, laïques ou ecclésiastiques, de l’époque. Les deux exemples étudiés sont ceux de saint Nicaise, en Normandie, puis de saint Front de Périgueux.
La Passion de saint Nicaise a ainsi été rédigée sans doute dans la Normandie ducale, dans le contexte de la compétition entre les ducs et le roi de France pour le contrôle du Vexin français. Le Vexin normand et le Vexin français étaient en effet sous deux dominations différentes, mais appartenaient à un seul et même diocèse, celui de Rouen. Il est possible que la Passion, où les Gestes de Nicaise dessinent précisément le territoire du Vexin français, ait été rédigée à l’époque du rapprochement entre le comte du Vexin français Drogon et le duc Robert. Le culte de Nicaise aurait ainsi joué un rôle dans le ralliement au duc de nombreux seigneurs du Vexin français, et dans l’espoir du duc de faire pour eux de la capitale religieuse de Rouen une capitale politique. Les moines de Rouen se mettent à vénérer toujours davantage Nicaise à partir de cette période, en tant que martyr. En 1032 a lieu la translation de son corps à Saint-Ouen et la rédaction la Passion qui fait de lui l’apôtre du Vexin et le premier évêque de Rouen. La christianisation du Vexin, présentée comme une conquête, pourrait bien refléter l’avancée des ducs de Normandie dans ce territoire.
Dans le dossier de Front de Périgueux, il ne s’agit plus du pouvoir laïc, mais du pouvoir épiscopal. La première Vie décrit Front comme originaire du Périgord et chrétien de naissance. La troisième Vie, rédigée vers mil, présente les choses de façon toute différente : Front aurait appartenu à l’entourage du Christ. Il obtient alors un nouveau sanctuaire, la basilique Saint-Front, construite dans la 1ère moitié du XIe siècle, dont l’architecture rappelle la basilique des Saints Apôtres et le Saint Sépulcre. Samantha Herrick place ces évolutions dans le contexte d’une ambition de plus en plus grande des évêques de Périgueux face à un pouvoir comtal très effacé et des suites de la Paix de Dieu. Ils essaient de s’imposer et de rendre leur patrimoine sacré. La basilique, à Puy-Saint-Front, se situe hors de la cité, hors de toute influence comtale. Le rôle de relais sur la route entre Vézelay et Compostelle favorise également le développement d’un saint que l’on place également dans l’entourage du Christ. Devenu lieu de pèlerinage reconnu, la basilique hausse le prestige de l’évêque qui, dans sa Vie aussi a le dessus sur le comte, premier personnage rencontré et converti par Front, qu’il institue ainsi que ses successeurs comme possesseurs de tous ses biens…

Discussion
Jacques Le Maho apporte quelques remarques au dossier normand : le lieu où est situé dans la Passion le combat de Nicaise contre le dragon ne relève pas forcément d’une invention tardive. On y a retrouvé des grottes, un ermitage et un cimetière mérovingien qui pourraient suggérer un culte ancien sur ce site, déjà en rapport avec Nicaise. Samantha Herrick acquiesce à cette possibilité mais souligne l’importance du fait que le culte de Nicaise comme premier évêque de Rouen ne commence qu’avec la translation des reliques. Sur ce point, Jacques Le Maho pense qu’il s’agissait pour les moines de Saint-Ouen de contrer grâce à ce culte les chanoines de la cathédrale de Rouen : les ducs n’auraient donc pu avoir de réelle influence sur cette tradition.
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Thomas Granier – Université de Montpellier
Saints fondateurs, récits d’origine et légendes apostoliques dans l’Italie méridionale des VIIIe-XIIe siècle
Thomas Granier envisage tout d’abord les récits concernant des monastères : le Mont Cassin et Saint-Vincent du Volturne.
En ce qui concerne le Mont Cassin, Thomas Granier note l’existence de deux traditions différentes : l’une donne très peu d’information concrète sur la fondation du monastère (Les Dialogues de Grégoire le Grand), l’autre au contraire insiste sur la prédestination du Mont Cassin à accueillir Benoît (Versus in Benedicti laudem de Marcus). Malgré l’autorité attachée aux Dialogues, c’est bien la théorie de la prédestination du Mont Cassin qui revient le plus souvent dans les récits ultérieurs, en particulier pour affirmer le lien entre cette fondation et les refondations suivantes, dans une continuité (Paul Diacre, Pierre Diacre). La même dulaité se retrouve à Saint-Vincent du Volturne. Les premiers récits sur la fondation, rédigés vers 770, sont forts peu concrets et insiste surtout sur les vertus du fondateur. Les choses sont tout à fait différentes dans le cartulaire-chronique des années 1130, ainsi que dans la Vie placée sous le nom de Pierre vers 1100 : la reprise du récit de fondation du Mont Cassin à la fin du VIe siècle sert à mettre en valeur l’aide des abbés du Volturne. Plus tard, on postule même que ce sont ces abbés qui ont seuls œuvré à la refondation pour ensuite nommer un nouvel abbé au Mont Cassin. Ainsi, dans ces deux exemples, on voit que les récits de fondation laissent de plus en plus de côté l’aspect spirituel originel pour servir à assurer l’autorité, le pouvoir des abbés.
Dans un second temps, il recense les informations qui concernent les sièges épiscopaux : Naples, Capoue, puis Bénévent et Salerne. Là aussi les récits se font de plus en plus concrets, en évoquant de plus en plus précisément les liens de la fondation avec le passé apostolique. Ainsi, l’idée de l’ordination du fondateur du siège de Naples, Asprène, par Pierre est absente dans la première Vie, rédigée ver 840 : elle apparaît dans la Vie d’Athanase et c’est la réécriture des années 1100 qui insère l’épisode du passage de Pierre à Naples avant qu’il ne se rende à Rome. À Capoue, à côté de la figure de Proterius, le premier évêque, est mise en avant celle de Priscus, qui est présenté aux XIe-XIIe siècles comme un disciple de Pierre. À Bénévent, ce n’est pas le premier évêque qui est magnifié dans sa Vie (IXe ou Xe s.), mais Barba (m. 682), qui a sauvé Bénévent face au siège byzantin, et a mené à son terme la christianisation, installant le Mont Gargan. De même, il n’y a pas de mise en avant des premiers évêques à Salerne. (c’est l’arrivée des reliques de saint Barthélemy qui importe, insistant sur le rôle du prince dans leur venue). Le statut du dirigeant laïc, l’impact de la guerre gothique et l’importance ou non du castrum et de son habitat font que les situations sont très différentes.
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Klaus Krönert – Université de Lille III
Production hagiographique et enjeux politiques à Trèves (Xe-XIe siècle)
Le point de départ du travail de Klaus Krönert est la Vie d’Euchaire, Valère et Materne (BHL 2655), les trois premiers évêques de Trèves, rédigée vers 900. Le potentiel proprement politique de cette œuvre se révèle surtout lors de la querelle dite de primatie entre les Églises de Trèves, Cologne et Mayence aux Xe et XIe siècles, durant laquelle d’autres récits hagiographiques sont également produits.
La Vie d’Euchaire, Valère et Materne insiste essentiellement sur le personnage d’Euchaire, et contient un passage où Materne est ressuscité après l’obtention de la crosse de saint Pierre. La Vie de Pierre par Jérôme sert entre autre de référence, mais des détails topographiques vérifiables ancre le récit dans la réalité de Trèves. Malgré les références à Trèves, la redatation du texte interdit de le placer dans le contexte de la querelle de primatie (même par rapport à Reims au IXe s.). La Vie a en effet été écrite peu après le raid viking dévastateur de 882. Le contexte est sans doute celui de la rivalité, ou plutôt du modèle de Cologne…
Aux Xe et XIe siècles débute réellement la querelle de primatie avec Cologne et Mayence. L’influence de Mayence en particulier devient déterminante, après le couronnement d’Otton en 936.L’archevêque de Mayence reçoit le titre de vicaire, lié à la personne de l’évêque. Cologne prend également de l’ampleur grâce à l’épiscopat de Brunon. Cependant, en 969, Trèves obtient la primatie sur la Gaule et la Germanie : ce titre est attaché au siège lui-même. Le faux diplôme de Sylvestre constitué au milieu du Xe siècle et la Vie des premiers évêques de Trèves servent de justification à cette promotion, Mayence ayant été fondé comme Église seulement au Ve siècle.
Jusqu’à la seconde moitié du XIe siècle, la confirmation de la primatie est une préoccupation constante, le siège de Magdebourg devenant un concurrent sérieux. La mort d’Henri II fournit une occasion de changer la hiérarchie épiscopale, et l’archevêque de Toul, en 1049, confirme la primatie de Trèves. Mais elle est difficile à imposer. À la fin du XIe siècle, avec la Réforme Grégorienne, les conflits entre les grands sièges impériaux perdent de leur importance. Le problème saillant est désormais celui de l’autonomie par rapport à Rome. Les thèmes déjà présents dans les premiers écrits hagiographiques sont repris, mais de façon à correspondre à cette préoccupation. C’est dans ce contexte qu’Egbert fait faire le reliquaire de la crosse de saint Pierre. Le sermon de Thierry sur Euchaire dans la première moitié du XIe siècle insiste sur la comparaison de Trèves avec Rome, de même que les panégyriques d’Euchaire et de Valère, qui les comparent à Pierre. La répétition liturgique des qualités de la cité cherche ainsi à les inscrire dans la réalité.

Discussion
Guy Philippart relève que la question de la « perfidie » des auteurs d’œuvres hagiographiques avancée par Klaus Krönert est intéressante. Ce dernier rappelle cependant qu’il voit réellement la question de la spiritualité et de la défense de la cause de son Église comme deux aspects complémentaires. Pour Jacques Dalarun, ce ne sont pas même deux aspects complémentaires, mais un seul : l’hagiographe a tout d’abord un but de réconciliation à un moment donné et pour une société donnée. Il ne faudrait pas faire à son avis de découpage anachronique au sein de la motivation des rédacteurs médiévaux : l’hagiographie est une réconciliation. Toutes ces Vies sont-elles d’ailleurs toutes lues ? Au moins elles sont une réconciliation pour l’hagiographe lui-même…
François Dolbeau revient sur la question de l’apostolicité. Cette question est apparue à la fin du XIXe et au début du XXe siècle comme une broutille et, de ce fait, elle n’a pas été étudiée pour le sud. Cette question y est cependant bien présente, notamment à Béziers et Narbonne, dans une véritable ascension pour rapprocher le plus près possible du Christ son premier évêque) : Sergius Paulus aurait été ordonné par saint Paul et Aphrodise de Béziers aurait assisté au renversement des idoles au Temple par le Christ. Il faut aller voir aussi les apocryphes : ainsi les fausses épîtres de Martial sont-elles prétendument néotestamentaires. Martin Heinzelmann rappelle que l’on trouve très tôt le terme apostolicus, et donne l’exemple de Martin. Tout grand évêque du haut Moyen Âge est apôtre. Puis les deux sens se distinguent. Ainsi, quand un évêque se présente devant le roi Gontran et lui dit : « sum apostolicus », le roi lui répond : « ah, tu viens de Rome ! ». L’apostolus est aussi le premier évangélisateur d’un lieu pour François Dolbeau : c’est ce sens que défend Adhémar de Chabannes dans tous ses sermons. Klaus Herbers note qu’au Xe siècle les disciples de Pierre et Paul l’emportent finalement sur les disciples du Christ. La tendance romaine de l’époque de la Réforme Grégorienne tend à minorer les traditions de christianisation autres que par Pierre, Paul et leurs disciples. François Dolbeau rappelle l’importance des 72 disciples du Christ évoqués par saint Luc et souligne combien le fait qu’il ne les ait pas cités a stimulé l’imagination des auteurs médiévaux ! Bernard Gui en a fait la liste au XIVe siècle. Monique Goullet rappelle qu’il ne faut pas oublier l’émulation dans la sainteté, dont la revendication d’apostolicité est une forme. Marquant son accord avec l’affirmation de Jacques Dalarun, elle évoque une Église conquérante, qui cherche à installer le Salut.

Colloque de Poitiers - Matinée du 11 septembre


Résumés réalisés par Sylvie Joye

Jeudi 11 septembre – matinée

Présidence de François Dolbeau




Martin Heinzelmann – Institut Historique Allemand, Paris
Conférence plénière
Pouvoir et idéologie dans l’hagiographie mérovingienne
Dans cette communication, Martin Heinzelmann s’attache à la représentation du pouvoir du saint, de celui de l’évêque et de celui du souverain dans l’hagiographie depuis la fin de l’Antiquité jusqu’au VIIIe siècle. La période dite mérovingienne ne peut en effet être considérée de ce point de vue comme un tout homogène, et sa première constatation sur l’«hagiographie mérovingienne» vise à rappeler qu’il n’y a pas eu de coupure avec la période précédente, et que les hommes de la Gaule du très haut Moyen Âge lisaient des textes bien différents de ce que nous désignons par le terme d’« hagiographie mérovingienne ».
Saint Martin est exemplaire des saints tels qu’on les conçoit au début du haut Moyen Âge. Il est considéré comme un «ami de Dieu» et son manteau est capable de contenir le Roi du monde. Ainsi, Martin appartient à une élite de saints capables de faire intervenir Dieu. Il entretient également un lien privilégié avec le roi mérovingien.
Les saints du début de la période mérovingienne, tout comme la liturgie et l’écriture hagiographique de cette époque, doivent être étudiés en parallèle avec ceux des IVe et Ve siècles. Les termes de Majestas et de Potestates, par exemple, sont déjà utilisés. Les notions d’intercession et de clientèle (cf. domnus, patronus) servent déjà à qualifier les relations entre les saints martyrs et le peuple au IVe siècle : ils sont des avocats, des juges, purificateurs et protecteurs. Et, à la fin de ce siècle, ces pouvoirs des saints sont déjà pris en main par les ecclésiastiques, et en particulier les évêques : les reliques sont consignées dans l’église dont ils sont les représentants. L’instrumentalisation du martyr au bénéfice du territoire ou de l’institution ecclésiale est patente. Dès lors, ce fait influence beaucoup l’écriture hagiographique. Les rites sociaux profitent surtout aux évêques, un peu aux abbés et aux ascètes. Les martyrs et les saints orientaux semblent occuper la majeure partie dans les légendiers des débuts de l’époque mérovingienne.
À la fin de l’Antiquité et au début de la période mérovingienne, la théorie des deux Cités, céleste et terrestre, est omniprésente. Ainsi, les œuvres de Grégoire de Tours, qu’ils s’agissent de ses œuvres proprement hagiographiques ou de son œuvre historiographique font partie d’un tout, d’une histoire sainte qui fonctionne selon la logique des deux Cités. Chaque localité souhaite bénéficier de la protection d’un saint qui lui soit propre, et cela semble devenir une véritable nécessité croissante. Une petite moitié des évêques qui ont une Vie au VIe siècle ont réellement vécu au VIe siècle, les autres sont plus anciens. L’évêque jouit d’un pouvoir social et, dans l’idéal, il est censé diriger le peuple de la cité et ce pouvoir est mis en scène en opposition à d’autres pouvoirs. Les Actes des Martyrs dénoncent les mauvais empereurs. En revanche, le roi mérovingien n’est en général pas opposé aux évêques dans les Vies. Au contraire, il lui est associé dans la conduite du peuple chrétien sur terre, où l’Église a déjà installé la cité de Dieu. Les opposants de l’évêque sont d’autres potestates que le roi. Chez Grégoire de Tours, le roi est le partenaire obligé de la direction du peuple chrétien.
À partir de l’époque de Clotaire II et de son édit de 614, les changements sociaux influent sur l’hagiographie. On y constate un épanouissement de la noblesse, même si on ne peut parler d’autosanctification. Des Vies de saints évêques sont encore rédigées dans les endroits pour lesquels il manque encore un avocat céleste. Cependant, elles sont désormais rédigées par des moines. Les évêques perdent leur monopole spirituel dans la cité. La logique des deux Cités est délaissée avec le pragmatisme du VIIe siècle. Ceci constitue une différence fondamentale avec les œuvres de Grégoire de Tours. Ainsi, les miracles, ces actions exceptionnelles des amis de Dieu capables de faire progresser la cité terrestre, se raréfient dans les Vies. Les données concrètes, et en particulier politiques, se multiplient au contraire. À partir de la seconde moitié du VIIe siècle, on peut reconstituer la politique à partir de l’hagiographie, ce qui n’était pas du tout le cas au siècle précédent, où les évocations de la vie politique étaient très elliptiques et n’étaient présentes que si l’hagiographe pouvait en tirer une interprétation spirituelle. Désormais, la façon dont est présentée la Vie du saint dépend des options politiques du rédacteur, et échappe au moule des deux Cités : alors que les biographies antiques des martyrs présentaient la victoire de l’Église universelle sur le diable, les Vies de saints de la seconde moitié du VIIe siècle concernent essentiellement les intérêts du lieu où se trouve la tombe du saint. La représentation du pouvoir terrestre évolue : les moines, liés à la noblesse, sont désormais les principaux rédacteurs d’œuvres hagiographiques. Après une longue tradition théologique de dévalorisation des pouvoirs terrestres, ils valorisent le contexte politique et mettent en valeur l’image de la royauté chrétienne.
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Anne-Marie Helvétius – Université de Paris VIII
Hagiographie et formation des aristocrates dans le monde franc (VIIe-VIIIe siècle)
Cette communication ne s’attache pas tant à la façon dont est représentée l’éducation dans les œuvres hagiographiques (essentiellement la Vie de Didier de Cahors, celle de Colomban par Jonas de Bobbio, la Vie d’Éloi par Ouen, la Vie d’Arnoul de Metz, la Vie de Bathilde, la Vie de Wandrille) qu’au rôle qu’a pu jouer la lecture de ces œuvres dans la formation politique des élites. Anne-Marie Helvétius pense en effet que certaines des Vies rédigées à l’époque s’adressaient en effet prioritairement aux jeunes issus de ces élites destinés au service du roi et du royaume (rappel de l'article de P. Riché sur le palais).
Le choix des anecdotes destinées à décrire les bons comportements chrétiens aux lecteurs vise en effet ce public. Le modèle proposé est celui du jeune aristocrate laïc qui vit comme un moine à la cour du roi. Là aussi, l’idée d’un changement essentiel à l’époque de Clotaire II est évoquée. Anne-Marie Helvétius voit dans le thème du jeune saint ou de la jeune sainte guéri(e) des péchés de ses parents par le saint un rappel non seulement de la pénitence luxovienne, mais aussi de la situation nouvelle de 613. Après les guerres qui ont déchiré les tria regna, la paix doit être rétablie. L’idée de pénitence permet à ce sujet établir un parallèle entre le monachisme et l’exil politique. Le saint des VIIe-VIIIe siècles a d'ailleurs davantage pour vocation de faire perdre aux grands leur manque de finesse, leur rusticité, que de combattre le démon : leur inculquer les valeurs chrétiennes doit permettre le retour de la paix.
La vie monastique constituant le meilleur modèle de vie en commun, celle-ci est présentée comme le modèle de la vie menée par le groupe des jeunes nobles au palais. Un lien direct est de ce fait tissé entre le service du roi et le service de Dieu. Le retrait du monde et la vie monastiques sont présentés comme un choix assumé, comme dans la Vie de Bathilde ou celle d’Arnoul. Les deux ministères sont cependant bien difficiles à concilier. Certains saints refusent ainsi de se rendre auprès du souverain. En revanche, les images du roi et de Dieu se rejoignent au travers du thème de la justice. Par ailleurs, les moines et les moniales, par leurs prières ou leur médiation, agissent pour la résolution des conflits.
Cet argumentaire amène Anne-Marie Helvétius à s’interroger enfin sur les premières tentatives d’imposer la règle bénédictine dans les monastères francs. Peut-être cette volonté d’unification venait-elle du fait que la vie monastique était devenue un modèle pour la vie à la cour ? Les règles et les vertus monastiques ne valant pas seulement pour les moines, la diversité des règles apparaissait ainsi comme un facteur de troubles. Tenter d’imposer une règle unique pouvait donc a contrario apparaître comme un moyen de rassembler les grands autour de valeurs partagées.

Discussion
Les questions se concentrent tout d’abord sur les termes utilisés dans l’exposé. Martin Heinzelmann rappelle qu’on ne peut parler à l’époque mérovingienne d’une cour telle qu’on se la représente pour l’époque carolingienne. Le mot schola existe bien, mais bien souvent il désigne alors un endroit où œuvrent les monétaires. Certes, le terme de cour évoque une réalité administrative, mais il faut prendre en compte le fait que, physiquement, la cour est une réalité très différente de ce que l’on trouve à l’époque carolingienne.
Du point de vue des modèles bibliques, François Dolbeau demande si elle a trouvé dans ses sources le prototype de Daniel à la cour du roi, notamment dans l’évocation du jeûne, de la pénitence, et des visions, car se modèle est présent dans la suite du Moyen Âge. Anne-Marie Helvétius n’a pas trouvé ce modèle : la référence récurrente lui semble être Job.
François Dolbeau note également que l’exposé évoque très peu tout ce qui est antérieur à 614. Que pourrait-on avoir entre 500 et 600 sur ce même thème de l’éducation ? Anne-Marie Helvétius évoque le modèle épiscopal, qui ne disparaît d’ailleurs pas. La figure du rustre s’oppose à celle de l’évêque triomphant. Martin Heinzelmann rappelle que, depuis la fin du Ve siècle, ce n’est plus le modèle de la classe qui domine en matière d’éducation, mais celui du sage qui transmet son savoir à un jeune particulièrement doué. Cette relation personnelle peut être rapproché de l’importance du thème des « nourris ». Ce modèle prévaut jusqu’au changement qui intervient avec les Carolingiens.
Alain Dierkens constate que le contexte de 743/744 est un peu le même que celui qu’Anne-Marie Helvétius évoque à propos de la possible première tentative d’unification des règles monastiques selon le modèle bénédictin. Y a-t-il des citations de la règle bénédictine dans les textes liés aux Pippinides avant 743/744 ? Alain Dierkens pense qu’il y en a sans doute depuis le début du VIIIe siècle ? Cependant, il serait difficile de déterminer à quel moment ces extraits ont pu être placés dans les textes. François Dolbeau rappelle que cette recherche serait d’autant plus difficile qu’en réalité il y avait essentiellement des règles mixtes, qui empruntaient en partie à Benoît. : on ne peut voir à quelle règle sont pris les passages… Même la règle de Colomban fut en réalité un instrument de la règle bénédictine.
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Jean-Michel Picard – University College Dublin
Les hagiographes irlandais et le concept d’une nouvelle royauté en Irlande au VIIe siècle
Les études sur la royauté irlandaise avant l’époque anglo-normande ont dégagé un modèle différent de celui du continent, avec une multiplicité de royaume correspondant à celle des túath (plus d’une centaine, répartis en cinq provinces au haut Moyen Âge). Les informations livrées par les récits hagiographiques et annalistiques semblent par les écrits en gaélique des VIIe et VIIIe siècles semblent contradictoires sur cette fonction royale.
Si l’introduction du christianisme apparaît bien comme un facteur de changement important de la société à partir du Ve siècle, cette contradiction vient tout d’abord du modèle de royauté unique qui est présenté comme idéal par ces sources d’origine monastique, malgré la réalité de la multiplicité des royaumes irlandais. En plus de la dimension religieuse, cette évolution est due aussi au fait que ce modèle est élaboré dans les grands monastères liés à la famille royale qui a tendance à prendre le pas sur les autres, les Uí Néill de Tara.
L’expression Rex totius Hiberniae apparaît ainsi dans les annales d’Irlande à la fin du VIIe siècle, mais l’affirmation d’un imperium et d’une ordination royale est plus nette encore dans la Vie de Columba rédigée par Adomnán, abbé d’Iona issu de la famille des Uí Néill. Il ; n’évoque pas seulement l’idée d’une royauté unique (que l’on trouve déjà dans la Vie de saint Patrick) mais aussi celle d’une royauté de droit divin, totalement étrangère à la tradition irlandaise. La Vie de Columba met fortement en valeur le caractère divin et héréditaire de la royauté, en mettant notamment en scène une cérémonie de sacre avec imposition des mains et bénédiction, un ange apportant le livre de verre sur lequel est décrit le rituel à accomplir.
Bien qu’on ait en réalité fort peu de sources sur le sacre des rois irlandais, ces récits ont une influence sur la conception générale de la royauté en Irlande. Alors que jusque là le meurtre du roi entraînait le paiement d’une composition, il est désormais puni par la mort par l’eau, le bois, le feu. De même, ce sont certains péchés qui peuvent interdire l’accès au trône, alors qu’auparavant c’étaient les tares physiques. Surtout, l’obtention de cette royauté unique et chrétienne est devenu le but auxquels aspirent les quelques souverains qui réussissent à étendre par la force leur pouvoir sur la majeure partie de l’île.

Discussion
Jean-Michel Picard annonce qu’il prépare une édition critique et commentée de la Vie de sainte Brigitte.
La discussion porte sur le livre de verre apporté par l’ange, avec la description du couronnement. Est-il décrit comme un livre de verre à cause de son aspect divin.
Robert Halleux pense que l’usage du terme vitreus rend cette interprétation peu probable : le verre n’est pas considéré comme un matériau noble à ces époques, et le terme vitreus ne peu renvoyé au cristal, matière noble qui aurait été plus appropriée pour évoquer cet aspect. Ne pourrait-il pas s’agir de l’évocation d’un vitrail : on a retrouvé des fragments de vitraux mérovingiens près de Rouen qui portaient des inscriptions ?
François Dolbeau pense que ce livre fait sans doute référence au Livre de Vie, et est donc lié à l’Apocalypse.

Un compte-rendu du livre de M. J. Enright sur le problème de l'onction en Irlande et chez les Francs : http://mdzx.bib-bvb.de/francia/Blatt_bsb00016292,00266.html

lundi 8 septembre 2008

Hagiographie à l'IMC 2008

Compte rendu de quelques communications centrées sur l’hagiographie à l’International Medieval Congress de Leeds de 2008 par Sylvie Joye.


Session 204

Hagiography and Cult of the Martyrs I : Martyrs and Kingship


Anne Wagner, « The Propagation of the Cult of St Maurice »

Dans cet aspect furent traitées successivement trois périodes distinctes du culte de saint Maurice :

- le haut Moyen Âge (débuts du culte ; royaume de Bourgogne ; la sainte Lance)

Dès le très haut Moyen Âge, Maurice joue un grand rôle, déjà lié à la royauté : dans les Gesta Dagoberti, ce sont Martin et Maurice qui sauvent l’âme de Dagobert. Anne Wagner souligne aussi le rôle de Boson, premier roi non carolingien à l’ouest, qui promeut le culte royal de Maurice, profitant du fait que Saint-Maurice se situe dans son royaume. Il fait faire un reliquaire pour la tête de Maurice et le donne à la cathédrale Saint-Maurice de Vienne. La Lance est également une relique liée à Longin ou Constantin, mais aussi à Maurice, qui est liée à la royauté. L’image de la royauté donnée par la lance est classique dans le monde barbare et elle se perpétue par la suite : Henri Ier demande la Lance à Rodolphe de Bourgogne. Il y a également un culte anglo-saxon de la Lance.

- l’Empire (Otton Ier ; Henri II)

Maurice est considéré comme un protecteur du royaume de Germanie et le transfert des reliques à Magdebourg est une étape importante de l’affirmation de son culte. L’époque de Henri II voit se multiplier les monastères dédiés à saint Maurice.

- le renouveau du XIIIe siècle (France ; Empire, particulièrement Metz)

En France, le renouveau du culte de Maurice est exprimé par la fondation par saint Louis du chapitre Saint-Maurice de Senlis. Les reliquaires et les représentations de Maurice se multiplient bien davantage dans l’Empire au XIIIe siècle. L’exemple principalement développé est celui du porche de la cathédrale de Metz, qui est une des rares à montrer une bataille entre païens et chrétiens, sans doute en référence aux croisades, ainsi que le martyre de Maurice, très rarement représenté.


Anne-Marie Helvétius, « St Denis of Paris : Origins of the Cult »

Anne-Marie Helvétius a présenté les premiers résultats d’un travail plus vaste qu’elle entend mener sur l’ensemble des sources relatives à saint Denis. Sa démarche ne vie pas à essayer de mettre au jour l’identité du ou des saint(s) Denis mais à mettre au jour les raisons pour lesquelles on a décidé de construire les textes hagiographiques du corpus dionysien selon telle ou telle construction et en y intégrant tel ou tel détail.

Les textes qui sont envisagés sous cet angle sont la Vie de Geneviève (concurrence entre cultes de Denis et de Geneviève qui influe sur l’évocation, minime, de la basilique) ; la 1ère Passio (Beatae) (relations entre l’évêque et les clercs et statut de la basilique en question) ; la 2ème Passio (Beatam et Gloriosam) (certains détails ajoutés dans cette Vie, qui intègre des éléments concernant l’Aréopagite, et la volonté d’insister sur la double apostolicité Pierre/Paul, le filioque, et l’aspect céphalophore du saint font penser à une nouvelle figure donnée au saint, parallèle non seulement au contexte mais aussi à des personnalités de l’époque de rédaction, la 2e ½ du VIIIe siècle. Un travail de comparaison de la Passion de Denis avec d’autres textes hagiographiques, notamment ceux rédigés à Auxerre, doit permettre d’étayer les hypothèses avancées sur ce dernier point).


Pavlina Rychterova, Étude sur la Vie de Constantin le Philosophe et les légendes pannoniennes

(le sujet initialement prévu sur Adalbert a été abandonné)

L’exposé de Pavlina Rychterova est centré sur l’étude des liens entre les idées de fondation, d’élaboration de la langue et du pouvoir religieux. La convergence de ces trois thèmes dans les légendes pannoniennes lui semble primordiale : l’importance prise par ces thèmes dans l’hagiographie de la chrétienté orientale tiendrait en grande partie liée à la diffusion de celles-ci. Constantin apparaît de plus en plus clairement comme un personnage fondateur du point de vue de la religion mais aussi de l’alphabet. La relation entre langage et christianisation est très forte. Les réécritures accentuent de plus en plus ces aspects selon des visées théologiques mais aussi sociales et politiques. Il s’agit notamment de montrer le pouvoir du patriarche de Constantinople (et non de Rome) sur la chrétienté orientale. On retrouve les mêmes aspects dans l’hagiographie arménienne, dont il faudrait étudier les liens exacts avec les légendes pannoniennes, tout comme le rôle de la diaspora arménienne dans l’empire byzantin.

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Session 304

Hagiography and Cult of the Martyrs II : The Renewal of the Cult of Early Martyrs in the Middle Ages


Michèle Gaillard, « The Rictiovarus’ Cycle : The Manuscript Evidence (9th-11th Centuries) »

Rictiovarus est un persécuteur dont le nom est lié à plusieurs martyrs du nord de la Gaule : Crépin et Crépinien (Soissons) ; Fuscianus, Victoricus et Gentianus (Seins-en-Amienois) ; Justus (St-Just-en-Chaussée, près de Beauvais) ; Quintinus (St-Quentin) ; Valerius et Rufinus (liés à Corbie. Paschase Radbert rédige leur Passion) ; Macra (près de Bazoches) ; Lucianus ; Piatonus.

Michèle Gaillard présente le début d’une étude prometteuse sur les passionnaires les plus anciens pour étudier le succès et l’extension géographique de ces passions. Elle indique également l’étude comparée à venir de ces textes pour reconstituer un stemma.

Le succès particulier de Crépin et Crépinien et celui de saint Quentin s’expliquent par l’importance de l’évêque de Soissons et celle de l’abbaye de Saint-Quentin. Cet exemple marque aussi la victoire des saints urbains sur les saints ruraux. On retrouve ces saints dans des Vies autres que la leur (notamment dans les Passions des autres victimes de Rictiovarus). Michèle Gaillard se propose de continuer le travail sur ces textes notamment en examinant le vocabulaire et la structure des phrases et le contexte manuscrit, pour les récits d’invention et de translation.


Klaus Krönert, « The Martyrs of Trier : Origins and Development of a Legend, 10th-12th Centuries »

C’est dans la 2e ½ du XIe siècle qu’est développée dans les sources hagiographiques de Trèves la mention du martyr de la légion thébaine. Pour évoquer ce martyr, ce sont les textes en rapport avec les victimes de Rictiovarus qui sont utilisés comme modèle, en particulier la Passion de Fuscianus, Victoricus et Gentianus. On identifie à la fin du Xe siècle des reliques anonymes se trouvant à Moyenmoutier comme celles de la légion thébaine. Dès lors on cherche de plus en plus ardemment le lieu du martyr à Trèves, et cette recherche devient un enjeu de pouvoir dans la cité. Sainte-Marie devient tout d’abord Sainte-Marie-des-Martyrs. Mais les chanoines de Saint-Paul veulent montrer par la suite que ce sont eux qui ont les premiers martyrs : en 1072 on feint de découvrir une plaque qui prétend que Rictiovarus aurait fait tué à Trèves la légion thébaine ainsi qu’un grand nombre d’habitants chrétiens de la ville. Les chanoines développent alors l’idée selon laquelle les reliques se trouveraient dans la crypte Saint-Paul.

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Session 306

Parrhesia and the Rhetoric of Free Speech III : Politics, Authority and Truth


Mayke de Jong, « From Admonitio to Increpatio : Paschasius Radbertus’ Epitaphium Arsenii »

Mayke de Jong s’intéresse à l’Epitaphium Arsenii dans l’optique d’y découvrir ce quoi était alors acceptable comme façon de blâmer. L’auteur, Paschase Radbert, tout comme Wala qui est le héros de son œuvre, blâme en effet des princes et critique la façon dont sont menées les affaires de son temps. Pour le faire d’une façon acceptable, il prend la posture de Jérémie : Paschase est d’ailleurs plus directement identifié à Jérémie que Wala.

Pour mettre en valeur ces aspects, Mayke de Jong revient tout d’abord sur l’importance des surnoms, bien connue pour l’époque carolingienne et mise en scène très clairement dans la 2e partie de l’Epitaphium Arsenii. Wala est assimilé à Arsène (comme il l’était dans la réalité : on a conservé des lettres où ses moines le nommaient ainsi. C’est la confabulatio monastique). Il est le plus doux et le meilleur des abbés, mais la dureté des temps en a fait un Jérémie nous dit Paschase : c’est un fardeau qui est donné par Dieu. L’usage des surnoms permet ainsi de lier le monde profane à la transcendance par le biais de noms appartenant à un prestigieux passé chrétien.

Ainsi, il est plus aisé de mettre en scène le saint comme un personnage qui blâme et conseille, sans trahir et sans offenser (alors que la réputation de Wala était sulfureuse en la matière : il avait été banni en 814 et en 831). Inlassablement sont répétées certaines valeurs : l’amour de l’Église, la stabilité, la paix, la fidélité à l’empereur… Paschase Radbert choisit des mots dont il sait qu’il vont interpeller ses contemporains : la fidélité et la stabilité. L’importance donnée à la familiaritas du personnage avec le souverain est un élément qui induit que le personnage a le droit de parler et d’être entendu, qu’il fait partie d’un monde privilégié, comme le faisait déjà l’usage d’un surnom.

Afin d’éclairer la posture de Paschase, la signification et l’expression du blâme et du discours moral de l’époque, Mayke de Jong a résolu d’étudier autant que faire se peut le parallèle entre l’Epitaphium Arsenii et le commentaire à Jérémie de Paschase Radbert. Malgré l’importance de ces surnoms, de nombreuses précautions et du parallèle biblique, elle rappelle cependant que pour elle ces aspects ne signifient pas que cette œuvre ne puisse pas nous donner de bonnes informations sur les années 820 et 830.

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Session 1625

Texts and Identities X : Death and Distinction in Merovingian Texts


Sylvie Joye, « The So-Called Merovingian Saints’ Testamenta »

Nous disposons d’une série de textes, une dizaine, dont la plupart semblent être des réécritures, des interpolations ou des faux (mais ce n’est pas toujours le cas) qui se présentent comme des actes par lesquels un saint ou une sainte a donné tout ou partie de ses biens à son diocèse ou à son monastère. Ces textes, appelés improprement testaments, sont le plus souvent des donations, appelées improprement testaments. Plus que ce caractère inapproprié du nom donné à ces actes, il est surtout intéressant de noter la multiplication (il s’agit souvent d’actes créés ou retravaillés plusieurs siècles après l’époque mérovingienne) et le changement de la forme et du contexte documentaire des ces « testaments ». À travers plusieurs exemples (Radegonde, Burgundofara, Remi, Yrieix, Aldegonde…) on remarque que les textes que l’on trouvait dans des Histoires (dans Grégoire de Tours pour Radegonde) ou sous forme hagiographique sont de plus en plus systématiquement, à partir du XIe siècle en particulier, présentés sous une forme diplomatique (même le testament « moral » de Radegonde que l’on retrouve copié à part dans les archives d’institutions pictaviennes). Quant à ceux qui revêtaient déjà une forme diplomatique à l’origine, on voit se multiplier sur leurs nouvelles copies les signes de validation (exemple de Burgundofara). Les testaments d’Aldegonde quant à eux sont copiés sur des documents mixtes, où on retrouve aussi bien la Vie de la sainte que son testament, dont les diverses versions évoluent en même temps que le statut du monastère dont elle est la sainte fondatrice, toujours dans la volonté d’assurer le maximum d’autonomie et de revenus aux moniales/chanoinesses.

mercredi 21 mai 2008

Traduction des Vies de saint Léger (2)

Lors de la séance du 8 mars consacrée à saint Léger ont été traduits les passages allant jusqu’au chapitre 28 inclus de l’édition des MGH. Le fragment de Moissac a été retravaillé à partir d’une copie du manuscrit. Les passages concernés demanderont une révision complète de l’édition, Bruno Krusch ayant quasi systématiquement choisi dans son texte la lectio difficilior. Il a été question également de la façon dont devra être présenté le texte : Bruno Krusch a en effet conçu la Vie de saint Léger comme un texte continu, alors qu’une Passion indépendante, présente dans le seul fragment de Moissac, devrait être éditée à part, avec son prologue.

Attention: La réunion du groupe de traduction prévue le samedi 7 juin 2008 a été annulée.
Plusieurs réunions et séminaires se déroulant à la même date, de nombreux membres du groupe ne pouvaient être présents. La réunion est reportée au début de la prochaine année universitaire. Nous en indiquerons la date le plus rapidement possible sur le site.

jeudi 17 avril 2008

R. Favreau (dir.), Radegonde...

Auteur: Sylvie Joye

R. Favreau dir., Radegonde. De la couronne au cloître, Poitiers, 2005 (Collection Trésors poitevins. 1. Association Gilbert de la Porrée), 124 p., 16 €.

La nouvelle Collection des Trésors poitevins se donne pour but de livrer au public des ensembles de textes traduits sur les grands personnages et les hauts lieux de l’Église du Poitou. Elle consacre son premier volume à sainte Radegonde, reine des Francs et fondatrice du monastère Sainte-Croix de Poitiers (v. 520-587). Malgré cette visée d’édification, il s’agit aussi un ouvrage de référence commode pour les historiens. Les traductions sont faites à nouveaux frais ou sont des reprises de travaux parus dans des ouvrages peu diffusés. Sont rassemblés ici tous les textes ayant trait à l’épouse de Clotaire Ier rédigés entre le VIee siècles : extraits de plusieurs œuvres de Grégoire de Tours, Vies de la sainte par Fortunat (traduction du texte du manuscrit de la médiathèque de Poitiers), Baudonivie (traduction de Y. Labande-Mailfert) et Hildebert de Lavardin (traduction du texte de la Patrologie Latinepost mortem. La Vie par Hubert de Lavardin est fondée intégralement sur les œuvres de Fortunat et de Baudonivie. Si elle n’apporte aucun élément réellement nouveau, sa rédaction nous renseigne en revanche sur les aspects propres à la perception de la sainteté féminine au XIIe et le XII revu à partir du manuscrit de la médiathèque de Poitiers). Les traductions sont largement et judicieusement annotées. Chaque texte est précédé d’une rapide présentation de son auteur et du récapitulatif de ses éditions et traductions. L’introduction de Robert Favreau met bien en lumière la complémentarité des œuvres de Grégoire, Fortunat et Baudonivie qui s’attachent respectivement aux rapports de la sainte avec les évêques ; à ses vertus dans le siècle et ses mortifications ou miracles au monastère ; à sa vie de moniale et à ses miracles siècle, et tend à présenter Radegonde comme une sainte martyre. La bibliographie insérée à la fin de l’ouvrage est très complète. Le cahier central de huit pages de photos couleur reprend essentiellement des enluminures tirées du beau manuscrit de la médiathèque de Poitiers rassemblant les Vies de la sainte (v. 1100).

jeudi 28 février 2008

Présentation de HagHis

Depuis quelque temps, à l’occasion de discussions avec les uns et les autres, nous avons fait le constat suivant. Nombreux sont désormais les jeunes chercheurs s’intéressant aux sources hagiographiques médiévales dans leur ensemble – c’est-à-dire aux documents qui d’une manière ou d’une autre visent à entretenir le culte des saints – même si les espaces, les périodes, les thèmes exploités ainsi que les angles d’approches sont souvent très différents. Or, nous avons peu souvent l’occasion de réfléchir sur cette diversité, partant du postulat que la définition du « genre » hagiographique allait de soi.

Pour cette raison, nous avons décidé de former un groupe de recherche en hagiographie médiévale. La plupart des autres pays européens possèdent déjà de tels groupes, d’importance variable. Il nous a semblé que le modèle qui pourrait le plus facilement inspirer nos travaux est celui de l’Atelier belge qui, jusqu’en 2001, organisait régulièrement des journées thématiques, éditait un petit bulletin diffusé par Brepols et disposait d’un site internet : http://www.fundp.ac.be/philo_lettres/histoire/a01.htm.

Il nous a paru également important d’ouvrir ce groupe à de jeunes chercheurs (historiens, philologues, mais aussi liturgistes, etc.) travaillant dans des spécialités qui, par la force des traditions académiques, ont eu trop souvent tendance à s’ignorer.

Dans l’état actuel de nos réflexions, il nous a paru possible d’organiser les activités de ce groupe de la façon suivante :

- L’organisation une fois par an d’une journée thématique prise en charge par l’un ou l’autre des membres du groupe, mêlant interventions de chercheurs confirmés et réflexions en atelier.

- Un travail commun de traduction d’un texte hagiographique, pour commencer les Vies de saint Léger. Le groupe de traduction se réunit régulièrement, environ quatre fois par an.

- La mise en place d’un site internet. Il se fait l’écho des travaux menés en hagiographie : intitulés de colloques et de conférences, séminaires, thèses et mémoires de master en cours et achevés, bibliographie courante, ressources électroniques et, selon les disponibilités des uns et des autres, courtes recensions. Le site abrite naturellement aussi les résumés des journées d’étude du groupe.

- Ce site est aussi un premier support pour une entreprise collective de publication en ligne d’un répertoire sommaire des dossiers hagiographiques rencontrés par les membres au cours de leurs travaux (n° BHL, références des éditions et des traductions, remarques sur la tradition manuscrite, datations communément retenues, bibliographie, etc.) : l’intérêt de ce catalogue est de pouvoir être enrichi au fur et à mesure un peu comme le sont actuellement les notices hagiographiques du Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon : http://www.bautz.de/bbkl/.


Bruno Dumézil, Stéphane Gioanni, Sylvie Joye, Charles Mériaux