lundi 3 novembre 2008

Colloque de Poitiers - Après-midi du 11 septembre

Résumés réalisés par Sylvie Joye

Jeudi 11 septembre – après-midi


Présidence d’Alain Dierkens

Patrick Henriet – Université de Bordeaux III
Un horizon hagiographique d’opposition au pouvoir. Les milieux monastiques et ascétiques de l’Espagne septentrionale au VIIe siècle

Patrick Henriet cherche à mettre en lumière la façon dont les milieux monastiques et ascétiques de l’Espagne du nord-ouest se sont représentés la notion de pouvoir, à partir de la Vita Fructuosi (BHL 3194), de la Vita Aemiliani de Braulion de Saragosse (BHL 100), des Vitae Patrum Emeretensium et des œuvres de Valère du Bierzo (traités « autobiographiques » et légendier).
Dans l’ensemble de ces ouvrages se dégage une nette opposition à la notion même de pouvoir, alors que dans la réalité, les personnages concernés, auteurs ou acteurs, entretiennent des relations étroites avec le pouvoir, ou l’exercent. Cette opposition à la notion de pouvoir s’explique par la référence omniprésente à un Orient ascétique idéalisé. Les sources espagnoles de l’époque semblent montrer une grande méfiance face aux saints contemporains. Les rédactions de Vies sont de ce point de vue moins nombreuses que dans la Gaule mérovingienne, et il faut noter qu’aucun des grands auteurs espagnols n’a rédigé de Vie.
Deux modèles de sainteté s’opposent : d’un côté l’ars sophistae, l’activité, la référence aux Romains ; de l’autre les exercices spirituels et les saintes œuvres, et le modèle de la Thébaïde. Le modèle « égyptien » de sainteté coexiste parfois dans un même recueil avec le modèle du grand évêque, tel qu’il est décrit dans les Vies des Pères de Mérida. Ainsi, la Vie de Fructueux, métropolitain de Braga, tente de réduire au maximum toute allusion au rôle du saint dans l’Église institutionnelle. Le premier noyau de cette Vie, rédigé vers 670-680, a pourtant été repris dans le légendier de Valère du Bierzo et augmenté au sein des Vies des Pères de Mérida. Le modèle du bon évêque semble être celui de l’évêque qui demeure moine malgré l’obtention (forcée) de cette fonction, tels Honorat et Germain (qui a des accents monastiques même s’il ne fut pas moine). L’état primitif du légendier de Valère (complété au Xe siècle) reprend essentiellement des Vies en rapport avec l’Orient, et non avec Rome. Malgré cette préférence pour le modèle ascétique, Valère est loin d’être lui-même un ascète.
Une même mixité des deux modèles se retrouve entre la personnalité d’Émilien (qui vit dans les montagnes et ne connaît que les huit premiers psaumes, démis de sa charge de prêtre parce qu’il a ruiné son église par ses pratiques d’ascète) et celle du rédacteur de sa Vie, Braulion de Saragosse (qui participe aux grands conciles, aux élections d’évêques, envoie des lettres aux grands, corrige un livre pour le roi).
Seule la continuation ou l’adoption de la vie ascétique justifie pour ces auteurs qu’on se compromette avec le pouvoir, surtout au sein même de l’Église. Dans la réalité pourtant, ils sont actifs dans cette Église et ne remettent pas en cause la hiérarchie du peuple chrétien.

Discussion
La discussion porte sur la nature et l’importance du modèle oriental en Occident. Guy Philippart insiste sur l’importance des textes orientaux au haut Moyen Âge, qui sont les plus copiés (les 56 passions traduites du grec représentent 55% des textes copiés avant 800), largement devant les passions latines (7%). Martin Heinzelmann relativise cet apport oriental : les textes sont retravaillés pour un emploi occidental, et sont toujours copiés incomplets, sélectionnés. Les légendiers privés, qui contiennent de fait essentiellement de tels fragments, sont faits pour la lecture privée, le délassement. Ils ne sont pas faits pour être lus à la fête du saint, et ne peuvent être mis totalement en parallèle avec les récits complets de Vies de saints.
Jean-Marie Sansterre s’interroge sur la figure de l’Orient monastique : est-il conçu comme un passé disparu ou comme un intemporel vaguement contemporain ? Il y a l’idée que la péninsule a été tardivement christianisée, mais que les premiers chrétiens y avaient été des moines, et que les moines étaient originels en Orient. Suite à une demande de Jean-Michel Picard soulignant la parenté du thème de l’abandon d’une militia pour une autre, Patrick Henriet rappelle qu’il est impossible de préciser la provenance éventuelle de passages rappelant Grégoire le Grand ou Sulpice Sévère, à cause des problèmes d’édition propres aux textes espagnols.
**************************************************************************************

Klaus Herbers – Université d’Erlangen
Reliques romaines au IXe siècle : renforcements ou liaisons avec la papauté ?
Klaus Herbers souligne la valorisation croissante de l’influence pontificale au-delà des Alpes après le traité de Verdun, sensible au travers de la documentation sur les translations de reliques au IXe siècle. Les papes distribuent en effet de plus en plus de reliques à partir des années 760. Ceci amène, consciemment ou non à former une communauté réciproque où le pape et les Francs se retrouvent sous la puissance d’un saint commun. L’envoi de ces reliques augmente surtout à l’époque du pape Paul Ier qui doit faire face aux Lombards. La liste des reliques transférées semble inépuisable (et pose des problèmes de définition : parfois on ne peut distinguer translation de l’élévation ou de l’invention. Entre 1/5 et 1/4 des translations connues concernent des reliques romaines).
Dans la 1ère moitié du IXe siècle, ces reliques sont destinées surtout aux grands monastères, et sont demandées par le roi ou par l’intermédiaire d’une lettre de recommandation émanant du souverain. C’est surtout le cas de Lothaire Ier, qui envoie les reliques prioritairement dans des lieux de frontière, après 843. Charles le Chauve réclame quant à lui des reliques romaines en 877, une fois devenu empereur. À la fin des années 840, le roi breton Nominoé demande à l’abbé de Redon le corps de celui qui a été pape juste après Pierre, Marcellin : on voit par cet exemple que les souverains ne demandent pas le corps de n’importe quel saint (et que lepape n’est pas le seul à dispenser des reliques « romaines »). De véritables trésors de reliques se trouvent à Aix (reliques d’Orient, mais aussi de Rome) ou à Compiègne (notamment les reliques de Corneille, en mai 877).
Les récits de translation affirment que ceux qui ont reçu des reliques à Rome y étaient allés expressément pour cette raison : c’est en réalité fort peu probable quand on examine le reste de la documentation, où la demande de reliques apparaît comme un élément annexe (lettres, chroniques). Ces corps (qui peuvent en réalité être des parties de corps saints) sont confiés à des personnages qui ont accompli une mission politique ecclésiastique, lors de la remise du pallium, pour des refondations d’église, à l’occasion d’un couronnement impérial… Le lien de ces translations avec la production ou la transmission d’écrits est très important. L’envoi de reliques de Gervais et Protais et d’Ambroise en 863-865 à Robert du Mans s’accompagne de l’envoi d’un codex de lettres papales. La première lettre de protection papale à Vézelay est également accompagnée d’une translation de reliques romaines. La combinaison de la protection par l’écrit et de celle par les reliques est la plus importante : elle crée une liaison double avec le pape. Ainsi, la translation des reliques romaines constitue l’élément le plus visible de la multiplication des relations avec Rome. Mais il ne faut pas se laisser tromper par la perspective des rédacteurs de récits de translations : celles-ci doivent être replacées dans un contexte politique plus vaste. Les transferts sont irréguliers dans l’espace et dans le temps, complexes et réciproques, et il faut garder à l’esprit que le pape n’est pas le seul à décider des dons de reliques « romaines » en Occident.

Discussion
Anne-Marie Helvétius interroge Klaus Herbers sur les cas où des reliques précises sont demandées. Quelles raisons président à ce choix ? un culte préexistant, une caractéristique du saint choisi ? Une partie du problème vient une fois encore des récits de translation, qui indiquent que le saint obtenu avait été expressément demandé, sans que cela paraisse forcément refléter la réalité…
Martin Heinzelmann cite un exemple de la difficulté d’obtenir des reliques et des choix éventuels, pas toujours respectés : en 827, Hilduin demande le corps de Grégoire le Grand, à une époque où le pape n’est pas encore favorable à l’envoi des corps depuis la région romaine. Il finit par obtenir non Grégoire, mais saint Sébastien. Le chambellan Libellus, à la même époque, cherche également à obtenir des reliques romaines : il est contraint de trouver un indicateur pour aller avec lui voler de bonnes reliques. Le 2e homme de l’empire peut obtenir des reliques (pas celles demandées), mais le 3e ne le peut déjà plus…
Guy Philippart note qu’il lui semble qu’en ce qui concerne la finalité de la demande de reliques, il existe une lettre du Xe siècle par laquelle un souverain demande des reliques spécifiquement pour partir à la guerre.
*************************************************************************************

Samantha Herrick – Syracuse University, New York
Le pouvoir du passé apostolique. Exemples normand et périgourdin.
Samantha Herrick revient sur le contexte de rédaction de deux saints présentés comme apostoliques. Les récits cherchant à attester de l’apostolicité de saints fondateurs se multiplient entre le VIIIe et le XIIe siècle. Cette hagiographie apostolique est bien connue et étudiée, mais il s’agit ici de voir en quoi l’apparition et le contenu de ces récits reflète les conflits politiques et les luttes d’influence, laïques ou ecclésiastiques, de l’époque. Les deux exemples étudiés sont ceux de saint Nicaise, en Normandie, puis de saint Front de Périgueux.
La Passion de saint Nicaise a ainsi été rédigée sans doute dans la Normandie ducale, dans le contexte de la compétition entre les ducs et le roi de France pour le contrôle du Vexin français. Le Vexin normand et le Vexin français étaient en effet sous deux dominations différentes, mais appartenaient à un seul et même diocèse, celui de Rouen. Il est possible que la Passion, où les Gestes de Nicaise dessinent précisément le territoire du Vexin français, ait été rédigée à l’époque du rapprochement entre le comte du Vexin français Drogon et le duc Robert. Le culte de Nicaise aurait ainsi joué un rôle dans le ralliement au duc de nombreux seigneurs du Vexin français, et dans l’espoir du duc de faire pour eux de la capitale religieuse de Rouen une capitale politique. Les moines de Rouen se mettent à vénérer toujours davantage Nicaise à partir de cette période, en tant que martyr. En 1032 a lieu la translation de son corps à Saint-Ouen et la rédaction la Passion qui fait de lui l’apôtre du Vexin et le premier évêque de Rouen. La christianisation du Vexin, présentée comme une conquête, pourrait bien refléter l’avancée des ducs de Normandie dans ce territoire.
Dans le dossier de Front de Périgueux, il ne s’agit plus du pouvoir laïc, mais du pouvoir épiscopal. La première Vie décrit Front comme originaire du Périgord et chrétien de naissance. La troisième Vie, rédigée vers mil, présente les choses de façon toute différente : Front aurait appartenu à l’entourage du Christ. Il obtient alors un nouveau sanctuaire, la basilique Saint-Front, construite dans la 1ère moitié du XIe siècle, dont l’architecture rappelle la basilique des Saints Apôtres et le Saint Sépulcre. Samantha Herrick place ces évolutions dans le contexte d’une ambition de plus en plus grande des évêques de Périgueux face à un pouvoir comtal très effacé et des suites de la Paix de Dieu. Ils essaient de s’imposer et de rendre leur patrimoine sacré. La basilique, à Puy-Saint-Front, se situe hors de la cité, hors de toute influence comtale. Le rôle de relais sur la route entre Vézelay et Compostelle favorise également le développement d’un saint que l’on place également dans l’entourage du Christ. Devenu lieu de pèlerinage reconnu, la basilique hausse le prestige de l’évêque qui, dans sa Vie aussi a le dessus sur le comte, premier personnage rencontré et converti par Front, qu’il institue ainsi que ses successeurs comme possesseurs de tous ses biens…

Discussion
Jacques Le Maho apporte quelques remarques au dossier normand : le lieu où est situé dans la Passion le combat de Nicaise contre le dragon ne relève pas forcément d’une invention tardive. On y a retrouvé des grottes, un ermitage et un cimetière mérovingien qui pourraient suggérer un culte ancien sur ce site, déjà en rapport avec Nicaise. Samantha Herrick acquiesce à cette possibilité mais souligne l’importance du fait que le culte de Nicaise comme premier évêque de Rouen ne commence qu’avec la translation des reliques. Sur ce point, Jacques Le Maho pense qu’il s’agissait pour les moines de Saint-Ouen de contrer grâce à ce culte les chanoines de la cathédrale de Rouen : les ducs n’auraient donc pu avoir de réelle influence sur cette tradition.
*************************************************************************************

Thomas Granier – Université de Montpellier
Saints fondateurs, récits d’origine et légendes apostoliques dans l’Italie méridionale des VIIIe-XIIe siècle
Thomas Granier envisage tout d’abord les récits concernant des monastères : le Mont Cassin et Saint-Vincent du Volturne.
En ce qui concerne le Mont Cassin, Thomas Granier note l’existence de deux traditions différentes : l’une donne très peu d’information concrète sur la fondation du monastère (Les Dialogues de Grégoire le Grand), l’autre au contraire insiste sur la prédestination du Mont Cassin à accueillir Benoît (Versus in Benedicti laudem de Marcus). Malgré l’autorité attachée aux Dialogues, c’est bien la théorie de la prédestination du Mont Cassin qui revient le plus souvent dans les récits ultérieurs, en particulier pour affirmer le lien entre cette fondation et les refondations suivantes, dans une continuité (Paul Diacre, Pierre Diacre). La même dulaité se retrouve à Saint-Vincent du Volturne. Les premiers récits sur la fondation, rédigés vers 770, sont forts peu concrets et insiste surtout sur les vertus du fondateur. Les choses sont tout à fait différentes dans le cartulaire-chronique des années 1130, ainsi que dans la Vie placée sous le nom de Pierre vers 1100 : la reprise du récit de fondation du Mont Cassin à la fin du VIe siècle sert à mettre en valeur l’aide des abbés du Volturne. Plus tard, on postule même que ce sont ces abbés qui ont seuls œuvré à la refondation pour ensuite nommer un nouvel abbé au Mont Cassin. Ainsi, dans ces deux exemples, on voit que les récits de fondation laissent de plus en plus de côté l’aspect spirituel originel pour servir à assurer l’autorité, le pouvoir des abbés.
Dans un second temps, il recense les informations qui concernent les sièges épiscopaux : Naples, Capoue, puis Bénévent et Salerne. Là aussi les récits se font de plus en plus concrets, en évoquant de plus en plus précisément les liens de la fondation avec le passé apostolique. Ainsi, l’idée de l’ordination du fondateur du siège de Naples, Asprène, par Pierre est absente dans la première Vie, rédigée ver 840 : elle apparaît dans la Vie d’Athanase et c’est la réécriture des années 1100 qui insère l’épisode du passage de Pierre à Naples avant qu’il ne se rende à Rome. À Capoue, à côté de la figure de Proterius, le premier évêque, est mise en avant celle de Priscus, qui est présenté aux XIe-XIIe siècles comme un disciple de Pierre. À Bénévent, ce n’est pas le premier évêque qui est magnifié dans sa Vie (IXe ou Xe s.), mais Barba (m. 682), qui a sauvé Bénévent face au siège byzantin, et a mené à son terme la christianisation, installant le Mont Gargan. De même, il n’y a pas de mise en avant des premiers évêques à Salerne. (c’est l’arrivée des reliques de saint Barthélemy qui importe, insistant sur le rôle du prince dans leur venue). Le statut du dirigeant laïc, l’impact de la guerre gothique et l’importance ou non du castrum et de son habitat font que les situations sont très différentes.
**************************************************************************************

Klaus Krönert – Université de Lille III
Production hagiographique et enjeux politiques à Trèves (Xe-XIe siècle)
Le point de départ du travail de Klaus Krönert est la Vie d’Euchaire, Valère et Materne (BHL 2655), les trois premiers évêques de Trèves, rédigée vers 900. Le potentiel proprement politique de cette œuvre se révèle surtout lors de la querelle dite de primatie entre les Églises de Trèves, Cologne et Mayence aux Xe et XIe siècles, durant laquelle d’autres récits hagiographiques sont également produits.
La Vie d’Euchaire, Valère et Materne insiste essentiellement sur le personnage d’Euchaire, et contient un passage où Materne est ressuscité après l’obtention de la crosse de saint Pierre. La Vie de Pierre par Jérôme sert entre autre de référence, mais des détails topographiques vérifiables ancre le récit dans la réalité de Trèves. Malgré les références à Trèves, la redatation du texte interdit de le placer dans le contexte de la querelle de primatie (même par rapport à Reims au IXe s.). La Vie a en effet été écrite peu après le raid viking dévastateur de 882. Le contexte est sans doute celui de la rivalité, ou plutôt du modèle de Cologne…
Aux Xe et XIe siècles débute réellement la querelle de primatie avec Cologne et Mayence. L’influence de Mayence en particulier devient déterminante, après le couronnement d’Otton en 936.L’archevêque de Mayence reçoit le titre de vicaire, lié à la personne de l’évêque. Cologne prend également de l’ampleur grâce à l’épiscopat de Brunon. Cependant, en 969, Trèves obtient la primatie sur la Gaule et la Germanie : ce titre est attaché au siège lui-même. Le faux diplôme de Sylvestre constitué au milieu du Xe siècle et la Vie des premiers évêques de Trèves servent de justification à cette promotion, Mayence ayant été fondé comme Église seulement au Ve siècle.
Jusqu’à la seconde moitié du XIe siècle, la confirmation de la primatie est une préoccupation constante, le siège de Magdebourg devenant un concurrent sérieux. La mort d’Henri II fournit une occasion de changer la hiérarchie épiscopale, et l’archevêque de Toul, en 1049, confirme la primatie de Trèves. Mais elle est difficile à imposer. À la fin du XIe siècle, avec la Réforme Grégorienne, les conflits entre les grands sièges impériaux perdent de leur importance. Le problème saillant est désormais celui de l’autonomie par rapport à Rome. Les thèmes déjà présents dans les premiers écrits hagiographiques sont repris, mais de façon à correspondre à cette préoccupation. C’est dans ce contexte qu’Egbert fait faire le reliquaire de la crosse de saint Pierre. Le sermon de Thierry sur Euchaire dans la première moitié du XIe siècle insiste sur la comparaison de Trèves avec Rome, de même que les panégyriques d’Euchaire et de Valère, qui les comparent à Pierre. La répétition liturgique des qualités de la cité cherche ainsi à les inscrire dans la réalité.

Discussion
Guy Philippart relève que la question de la « perfidie » des auteurs d’œuvres hagiographiques avancée par Klaus Krönert est intéressante. Ce dernier rappelle cependant qu’il voit réellement la question de la spiritualité et de la défense de la cause de son Église comme deux aspects complémentaires. Pour Jacques Dalarun, ce ne sont pas même deux aspects complémentaires, mais un seul : l’hagiographe a tout d’abord un but de réconciliation à un moment donné et pour une société donnée. Il ne faudrait pas faire à son avis de découpage anachronique au sein de la motivation des rédacteurs médiévaux : l’hagiographie est une réconciliation. Toutes ces Vies sont-elles d’ailleurs toutes lues ? Au moins elles sont une réconciliation pour l’hagiographe lui-même…
François Dolbeau revient sur la question de l’apostolicité. Cette question est apparue à la fin du XIXe et au début du XXe siècle comme une broutille et, de ce fait, elle n’a pas été étudiée pour le sud. Cette question y est cependant bien présente, notamment à Béziers et Narbonne, dans une véritable ascension pour rapprocher le plus près possible du Christ son premier évêque) : Sergius Paulus aurait été ordonné par saint Paul et Aphrodise de Béziers aurait assisté au renversement des idoles au Temple par le Christ. Il faut aller voir aussi les apocryphes : ainsi les fausses épîtres de Martial sont-elles prétendument néotestamentaires. Martin Heinzelmann rappelle que l’on trouve très tôt le terme apostolicus, et donne l’exemple de Martin. Tout grand évêque du haut Moyen Âge est apôtre. Puis les deux sens se distinguent. Ainsi, quand un évêque se présente devant le roi Gontran et lui dit : « sum apostolicus », le roi lui répond : « ah, tu viens de Rome ! ». L’apostolus est aussi le premier évangélisateur d’un lieu pour François Dolbeau : c’est ce sens que défend Adhémar de Chabannes dans tous ses sermons. Klaus Herbers note qu’au Xe siècle les disciples de Pierre et Paul l’emportent finalement sur les disciples du Christ. La tendance romaine de l’époque de la Réforme Grégorienne tend à minorer les traditions de christianisation autres que par Pierre, Paul et leurs disciples. François Dolbeau rappelle l’importance des 72 disciples du Christ évoqués par saint Luc et souligne combien le fait qu’il ne les ait pas cités a stimulé l’imagination des auteurs médiévaux ! Bernard Gui en a fait la liste au XIVe siècle. Monique Goullet rappelle qu’il ne faut pas oublier l’émulation dans la sainteté, dont la revendication d’apostolicité est une forme. Marquant son accord avec l’affirmation de Jacques Dalarun, elle évoque une Église conquérante, qui cherche à installer le Salut.

Aucun commentaire: