lundi 17 novembre 2008

Un article sur les sermons du Pseudo-Eloi

A l'heure où la journée d'étude consacrée à la Vie d'Eloi organisée par HagHis approche, vient de paraître un article sur les sermons qui ont été attribués à Eloi et dont James McCune place la rédaction au IXe siècle dans le contexte de la promotion de la pénitence publique :

- James McCune, « Rethinking the Pseudo-Eligius sermon collection », Early Medieval Europe (16/4), 2008, p. 445-476 - Wiley InterScience : http://www3.interscience.wiley.com/journal/121432223/abstract

mercredi 12 novembre 2008

Saint Léger - nov. 2008






La prochaine réunion du groupe de traduction des Vies de saint Léger aura lieu le 22 novembre 2008 en Sorbonne.
Rendez-vous à 9h30 dans la galerie J-B. Dumas, au pied de l'escalier R.










Saint Léger, église de Saint-Léger-sous-
Beuvray

Vie de Didier de Cahors

Traduction de la Vie de Didier de Cahors par le séminaire de traduction de l'équipe "Epigraphie, culture écrite, mémoire et communication" du CESCM à Poitiers

vendredi 7 novembre 2008

L’hagiographie au colloque Texts & Identities XII

Résumés réalisés par Sylvie Joye

La XIIe session du colloque international de doctorants T&I s’est tenue à Auxerre (Centre d’Études médiévales) du 17 au 19 octobre 2008.
Comité scientifique : Fr. Bougard (Paris Ouest Nanterre La Défense), M. de Jong (Utrecht), R. Le Jan (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), R. McKitterick (Cambridge), W. Pohl (Vienne), I. Wood (Leeds). Avec le soutien de la Mission Historique Française en Allemagne.

Nous présentons ici le résumé des exposés présentant des recherches en cours, fondées en tout ou partie sur des sources hagiographiques.

Rutger Kramer (Utrecht, doctorant bénéficiant d’un contrat dans le cadre du projet ANR DFG Hludowicus à la Freie Universität Berlin)
Rutger Kramer compte mettre régulièrement en ligne un état d’avancement de son travail sur son site personnel, où se trouve déjà le mémoire qu’il a consacré aux Gesta Sanctorum Rotonensium.
Il a déjà donné une première présentation de ses travaux dans la première rencontre du groupe Hludowicus qui s’est tenue à Limoges en juin 2008. Outre cette thèse, le projet Hludowicus a également lancé une étude de la crise des années 830 au travers des sources hagiographiques dans la province de Reims (S. Joye, Reims), les provinces de l’est (K. Krönert, Lille), la Bourgogne (S. Shimahara, Paris IV Sorbonne qui compte travailler aussi sur les récits de vision).
Representations of court and emperor in the Vita Benedicti Anianensis : some initial remarks
Le projet de thèse porte sur la représentation de la cour et de l’empereur dans les sources monastiques avant la crise des années 830 et suivantes. L’enquête porte pour l’instant sur la Vita Adalhardi, la Vita Alcuini et la Vita Benedicti Anianensis. Elle prend en compte aussi l’influence des idéaux de la cour et du siècle dans le monde monastique, et la perception du thème de la réforme. La Vita Benedicti Anianensis est en effet la seule source qui associerait clairement Benoît à la réforme. Aniane en 782 est sa seule fondation, puis il passe par Marmoutier et Inda (814-816), avant de mourir à la cour en 821. D’après la Vita, c’est Benoît qui demande à être envoyé à Inda après sa mort alors qu’une lettre de Louis le Pieux indique que c’est l’empereur qui a pris cette décision. Ardo décrit Benoît comme un nouveau venu à la cour quand Louis devient empereur. Un lien symbiotique est créé entre Louis et Benoît : l’empereur dépend de Benoît pour établir l’ordre dans son empire, et Benoît dépend de Louis pour répandre la réforme à travers le monde.
Dominique Iogna-Prat rappelle dans la discussion l’intérêt des propositions faites par Pierre Chastang dans sa thèse (Lire, écrire transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc (XIe-XIIIe siècle), Paris, 2001) sur la réécriture de la Vie au XIIe siècle.
Mayke de Jong annonce qu’elle a achevé sa traduction de l’Epitaphium Arsenii, à paraître dans les mois à venir.

Laurence Leleu (Paris I Panthéon-Sorbonne)
Studying the medieval kin : some reflexions about the word ‘nepos’ in german sources around the year 1000
L’étude sur le vocabulaire de la parenté dans le monde ottonien présentée le 18 octobre par Laurence Leleu a sollicité en bonne part les sources hagiographiques, notamment la Vita Brunonis de Ruotger, la Vita Mathilda Antiquior et la Vie de Thierry par Sigerbert de Gembloux. Dans ces Vies, le terme nepos désigne classiquement le neveu ou le petit-fils. En revanche, on trouve dans d’autres, comme la Vie de Brun d’Egisheim (Grégoire V) le terme de nepos pour désigner Conrad II, lié à un degré de parenté 4:3 (l’auteur parle aussi de consanguineus pour le même personnage). La théorie de D. C. Jackman qui proposait de considérer qu’on ne parlait pas de nepos au-delà d’un rapport 3:2 semble donc devoir être abandonnée. Il faut donc revoir certaines reconstitutions de parentés faites selon ce critère, comme par exemple le lien d’Ulrich d’Augsbourg avec le duc Burchard III de Souabe, évoqués dans la Vita Sancti Oudalrichi. Cet emploi large du terme nepos est spécifique à l’espace germanique, sans doute, propose Laurence Leleu, sous l’influence de la langue vernaculaire. Ce qui est important c’est de pouvoir opposer les parents et ceux qui ne le sont pas. En revanche, on oppose bien oncle et tante paternels aux oncle et tante maternels en Germanie, alors qu’on ne le fait pas en Francie. Ceci semble renvoyer à une attitude réellement différente envers ces personnes selon les espaces. Il est beaucoup moins certain que ce soit le cas pour les cousins éloignés, avec qui on peut avoir une relation forte en Francie occidentale, malgré l’usage indifférencié du terme nepos.

lundi 3 novembre 2008

Travaux de Sébastien Bricout et Stéphane Lecouteux

Stéphane Lecouteux et Sébastien Bricout nous signalent que, dans le cadre de leurs travaux en cours sur les Annales de Flodoard (préparation d’une édition critique avec traduction française, articles sur les différentes traditions manuscrites et la redécouverte du texte par les Humanistes au XVIe siècle), ils comptent rédiger prochainement un article sur :
« Un recueil factice renfermant un dossier historio-hagiographique constitué par Hugues de Flavigny à la fin du XIe siècle : le ms. Montpellier, Fac. Méd., H 151 ».

Et feront une intervention :
« Présentation du projet d’édition critique des Annales de Flodoard de Reims ».
Séminaire organisé par Dominique Barthélemy à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (séance du lundi 19 janvier 2009, à 17h, Sorbonne, escalier E, premier étage).

Stéphane Lecouteux a déjà publié :
« A partir de la diffusion de trois poèmes hagiographiques, identification des centres carolingiens ayant influencé l’œuvre de Dudon de Saint-Quentin », Tabularia « Etudes » n°5 (2005), p. 13-49.
« Les anciens légendiers de Cambrai (Xe–XIIIe siècles) : genèse et parenté avec le Legendarium Flandrense », Liturgie et livres dans l’église du Moyen Âge (Pecia, n°16, octobre 2008).

Colloque de Poitiers - Après-midi du 11 septembre

Résumés réalisés par Sylvie Joye

Jeudi 11 septembre – après-midi


Présidence d’Alain Dierkens

Patrick Henriet – Université de Bordeaux III
Un horizon hagiographique d’opposition au pouvoir. Les milieux monastiques et ascétiques de l’Espagne septentrionale au VIIe siècle

Patrick Henriet cherche à mettre en lumière la façon dont les milieux monastiques et ascétiques de l’Espagne du nord-ouest se sont représentés la notion de pouvoir, à partir de la Vita Fructuosi (BHL 3194), de la Vita Aemiliani de Braulion de Saragosse (BHL 100), des Vitae Patrum Emeretensium et des œuvres de Valère du Bierzo (traités « autobiographiques » et légendier).
Dans l’ensemble de ces ouvrages se dégage une nette opposition à la notion même de pouvoir, alors que dans la réalité, les personnages concernés, auteurs ou acteurs, entretiennent des relations étroites avec le pouvoir, ou l’exercent. Cette opposition à la notion de pouvoir s’explique par la référence omniprésente à un Orient ascétique idéalisé. Les sources espagnoles de l’époque semblent montrer une grande méfiance face aux saints contemporains. Les rédactions de Vies sont de ce point de vue moins nombreuses que dans la Gaule mérovingienne, et il faut noter qu’aucun des grands auteurs espagnols n’a rédigé de Vie.
Deux modèles de sainteté s’opposent : d’un côté l’ars sophistae, l’activité, la référence aux Romains ; de l’autre les exercices spirituels et les saintes œuvres, et le modèle de la Thébaïde. Le modèle « égyptien » de sainteté coexiste parfois dans un même recueil avec le modèle du grand évêque, tel qu’il est décrit dans les Vies des Pères de Mérida. Ainsi, la Vie de Fructueux, métropolitain de Braga, tente de réduire au maximum toute allusion au rôle du saint dans l’Église institutionnelle. Le premier noyau de cette Vie, rédigé vers 670-680, a pourtant été repris dans le légendier de Valère du Bierzo et augmenté au sein des Vies des Pères de Mérida. Le modèle du bon évêque semble être celui de l’évêque qui demeure moine malgré l’obtention (forcée) de cette fonction, tels Honorat et Germain (qui a des accents monastiques même s’il ne fut pas moine). L’état primitif du légendier de Valère (complété au Xe siècle) reprend essentiellement des Vies en rapport avec l’Orient, et non avec Rome. Malgré cette préférence pour le modèle ascétique, Valère est loin d’être lui-même un ascète.
Une même mixité des deux modèles se retrouve entre la personnalité d’Émilien (qui vit dans les montagnes et ne connaît que les huit premiers psaumes, démis de sa charge de prêtre parce qu’il a ruiné son église par ses pratiques d’ascète) et celle du rédacteur de sa Vie, Braulion de Saragosse (qui participe aux grands conciles, aux élections d’évêques, envoie des lettres aux grands, corrige un livre pour le roi).
Seule la continuation ou l’adoption de la vie ascétique justifie pour ces auteurs qu’on se compromette avec le pouvoir, surtout au sein même de l’Église. Dans la réalité pourtant, ils sont actifs dans cette Église et ne remettent pas en cause la hiérarchie du peuple chrétien.

Discussion
La discussion porte sur la nature et l’importance du modèle oriental en Occident. Guy Philippart insiste sur l’importance des textes orientaux au haut Moyen Âge, qui sont les plus copiés (les 56 passions traduites du grec représentent 55% des textes copiés avant 800), largement devant les passions latines (7%). Martin Heinzelmann relativise cet apport oriental : les textes sont retravaillés pour un emploi occidental, et sont toujours copiés incomplets, sélectionnés. Les légendiers privés, qui contiennent de fait essentiellement de tels fragments, sont faits pour la lecture privée, le délassement. Ils ne sont pas faits pour être lus à la fête du saint, et ne peuvent être mis totalement en parallèle avec les récits complets de Vies de saints.
Jean-Marie Sansterre s’interroge sur la figure de l’Orient monastique : est-il conçu comme un passé disparu ou comme un intemporel vaguement contemporain ? Il y a l’idée que la péninsule a été tardivement christianisée, mais que les premiers chrétiens y avaient été des moines, et que les moines étaient originels en Orient. Suite à une demande de Jean-Michel Picard soulignant la parenté du thème de l’abandon d’une militia pour une autre, Patrick Henriet rappelle qu’il est impossible de préciser la provenance éventuelle de passages rappelant Grégoire le Grand ou Sulpice Sévère, à cause des problèmes d’édition propres aux textes espagnols.
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Klaus Herbers – Université d’Erlangen
Reliques romaines au IXe siècle : renforcements ou liaisons avec la papauté ?
Klaus Herbers souligne la valorisation croissante de l’influence pontificale au-delà des Alpes après le traité de Verdun, sensible au travers de la documentation sur les translations de reliques au IXe siècle. Les papes distribuent en effet de plus en plus de reliques à partir des années 760. Ceci amène, consciemment ou non à former une communauté réciproque où le pape et les Francs se retrouvent sous la puissance d’un saint commun. L’envoi de ces reliques augmente surtout à l’époque du pape Paul Ier qui doit faire face aux Lombards. La liste des reliques transférées semble inépuisable (et pose des problèmes de définition : parfois on ne peut distinguer translation de l’élévation ou de l’invention. Entre 1/5 et 1/4 des translations connues concernent des reliques romaines).
Dans la 1ère moitié du IXe siècle, ces reliques sont destinées surtout aux grands monastères, et sont demandées par le roi ou par l’intermédiaire d’une lettre de recommandation émanant du souverain. C’est surtout le cas de Lothaire Ier, qui envoie les reliques prioritairement dans des lieux de frontière, après 843. Charles le Chauve réclame quant à lui des reliques romaines en 877, une fois devenu empereur. À la fin des années 840, le roi breton Nominoé demande à l’abbé de Redon le corps de celui qui a été pape juste après Pierre, Marcellin : on voit par cet exemple que les souverains ne demandent pas le corps de n’importe quel saint (et que lepape n’est pas le seul à dispenser des reliques « romaines »). De véritables trésors de reliques se trouvent à Aix (reliques d’Orient, mais aussi de Rome) ou à Compiègne (notamment les reliques de Corneille, en mai 877).
Les récits de translation affirment que ceux qui ont reçu des reliques à Rome y étaient allés expressément pour cette raison : c’est en réalité fort peu probable quand on examine le reste de la documentation, où la demande de reliques apparaît comme un élément annexe (lettres, chroniques). Ces corps (qui peuvent en réalité être des parties de corps saints) sont confiés à des personnages qui ont accompli une mission politique ecclésiastique, lors de la remise du pallium, pour des refondations d’église, à l’occasion d’un couronnement impérial… Le lien de ces translations avec la production ou la transmission d’écrits est très important. L’envoi de reliques de Gervais et Protais et d’Ambroise en 863-865 à Robert du Mans s’accompagne de l’envoi d’un codex de lettres papales. La première lettre de protection papale à Vézelay est également accompagnée d’une translation de reliques romaines. La combinaison de la protection par l’écrit et de celle par les reliques est la plus importante : elle crée une liaison double avec le pape. Ainsi, la translation des reliques romaines constitue l’élément le plus visible de la multiplication des relations avec Rome. Mais il ne faut pas se laisser tromper par la perspective des rédacteurs de récits de translations : celles-ci doivent être replacées dans un contexte politique plus vaste. Les transferts sont irréguliers dans l’espace et dans le temps, complexes et réciproques, et il faut garder à l’esprit que le pape n’est pas le seul à décider des dons de reliques « romaines » en Occident.

Discussion
Anne-Marie Helvétius interroge Klaus Herbers sur les cas où des reliques précises sont demandées. Quelles raisons président à ce choix ? un culte préexistant, une caractéristique du saint choisi ? Une partie du problème vient une fois encore des récits de translation, qui indiquent que le saint obtenu avait été expressément demandé, sans que cela paraisse forcément refléter la réalité…
Martin Heinzelmann cite un exemple de la difficulté d’obtenir des reliques et des choix éventuels, pas toujours respectés : en 827, Hilduin demande le corps de Grégoire le Grand, à une époque où le pape n’est pas encore favorable à l’envoi des corps depuis la région romaine. Il finit par obtenir non Grégoire, mais saint Sébastien. Le chambellan Libellus, à la même époque, cherche également à obtenir des reliques romaines : il est contraint de trouver un indicateur pour aller avec lui voler de bonnes reliques. Le 2e homme de l’empire peut obtenir des reliques (pas celles demandées), mais le 3e ne le peut déjà plus…
Guy Philippart note qu’il lui semble qu’en ce qui concerne la finalité de la demande de reliques, il existe une lettre du Xe siècle par laquelle un souverain demande des reliques spécifiquement pour partir à la guerre.
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Samantha Herrick – Syracuse University, New York
Le pouvoir du passé apostolique. Exemples normand et périgourdin.
Samantha Herrick revient sur le contexte de rédaction de deux saints présentés comme apostoliques. Les récits cherchant à attester de l’apostolicité de saints fondateurs se multiplient entre le VIIIe et le XIIe siècle. Cette hagiographie apostolique est bien connue et étudiée, mais il s’agit ici de voir en quoi l’apparition et le contenu de ces récits reflète les conflits politiques et les luttes d’influence, laïques ou ecclésiastiques, de l’époque. Les deux exemples étudiés sont ceux de saint Nicaise, en Normandie, puis de saint Front de Périgueux.
La Passion de saint Nicaise a ainsi été rédigée sans doute dans la Normandie ducale, dans le contexte de la compétition entre les ducs et le roi de France pour le contrôle du Vexin français. Le Vexin normand et le Vexin français étaient en effet sous deux dominations différentes, mais appartenaient à un seul et même diocèse, celui de Rouen. Il est possible que la Passion, où les Gestes de Nicaise dessinent précisément le territoire du Vexin français, ait été rédigée à l’époque du rapprochement entre le comte du Vexin français Drogon et le duc Robert. Le culte de Nicaise aurait ainsi joué un rôle dans le ralliement au duc de nombreux seigneurs du Vexin français, et dans l’espoir du duc de faire pour eux de la capitale religieuse de Rouen une capitale politique. Les moines de Rouen se mettent à vénérer toujours davantage Nicaise à partir de cette période, en tant que martyr. En 1032 a lieu la translation de son corps à Saint-Ouen et la rédaction la Passion qui fait de lui l’apôtre du Vexin et le premier évêque de Rouen. La christianisation du Vexin, présentée comme une conquête, pourrait bien refléter l’avancée des ducs de Normandie dans ce territoire.
Dans le dossier de Front de Périgueux, il ne s’agit plus du pouvoir laïc, mais du pouvoir épiscopal. La première Vie décrit Front comme originaire du Périgord et chrétien de naissance. La troisième Vie, rédigée vers mil, présente les choses de façon toute différente : Front aurait appartenu à l’entourage du Christ. Il obtient alors un nouveau sanctuaire, la basilique Saint-Front, construite dans la 1ère moitié du XIe siècle, dont l’architecture rappelle la basilique des Saints Apôtres et le Saint Sépulcre. Samantha Herrick place ces évolutions dans le contexte d’une ambition de plus en plus grande des évêques de Périgueux face à un pouvoir comtal très effacé et des suites de la Paix de Dieu. Ils essaient de s’imposer et de rendre leur patrimoine sacré. La basilique, à Puy-Saint-Front, se situe hors de la cité, hors de toute influence comtale. Le rôle de relais sur la route entre Vézelay et Compostelle favorise également le développement d’un saint que l’on place également dans l’entourage du Christ. Devenu lieu de pèlerinage reconnu, la basilique hausse le prestige de l’évêque qui, dans sa Vie aussi a le dessus sur le comte, premier personnage rencontré et converti par Front, qu’il institue ainsi que ses successeurs comme possesseurs de tous ses biens…

Discussion
Jacques Le Maho apporte quelques remarques au dossier normand : le lieu où est situé dans la Passion le combat de Nicaise contre le dragon ne relève pas forcément d’une invention tardive. On y a retrouvé des grottes, un ermitage et un cimetière mérovingien qui pourraient suggérer un culte ancien sur ce site, déjà en rapport avec Nicaise. Samantha Herrick acquiesce à cette possibilité mais souligne l’importance du fait que le culte de Nicaise comme premier évêque de Rouen ne commence qu’avec la translation des reliques. Sur ce point, Jacques Le Maho pense qu’il s’agissait pour les moines de Saint-Ouen de contrer grâce à ce culte les chanoines de la cathédrale de Rouen : les ducs n’auraient donc pu avoir de réelle influence sur cette tradition.
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Thomas Granier – Université de Montpellier
Saints fondateurs, récits d’origine et légendes apostoliques dans l’Italie méridionale des VIIIe-XIIe siècle
Thomas Granier envisage tout d’abord les récits concernant des monastères : le Mont Cassin et Saint-Vincent du Volturne.
En ce qui concerne le Mont Cassin, Thomas Granier note l’existence de deux traditions différentes : l’une donne très peu d’information concrète sur la fondation du monastère (Les Dialogues de Grégoire le Grand), l’autre au contraire insiste sur la prédestination du Mont Cassin à accueillir Benoît (Versus in Benedicti laudem de Marcus). Malgré l’autorité attachée aux Dialogues, c’est bien la théorie de la prédestination du Mont Cassin qui revient le plus souvent dans les récits ultérieurs, en particulier pour affirmer le lien entre cette fondation et les refondations suivantes, dans une continuité (Paul Diacre, Pierre Diacre). La même dulaité se retrouve à Saint-Vincent du Volturne. Les premiers récits sur la fondation, rédigés vers 770, sont forts peu concrets et insiste surtout sur les vertus du fondateur. Les choses sont tout à fait différentes dans le cartulaire-chronique des années 1130, ainsi que dans la Vie placée sous le nom de Pierre vers 1100 : la reprise du récit de fondation du Mont Cassin à la fin du VIe siècle sert à mettre en valeur l’aide des abbés du Volturne. Plus tard, on postule même que ce sont ces abbés qui ont seuls œuvré à la refondation pour ensuite nommer un nouvel abbé au Mont Cassin. Ainsi, dans ces deux exemples, on voit que les récits de fondation laissent de plus en plus de côté l’aspect spirituel originel pour servir à assurer l’autorité, le pouvoir des abbés.
Dans un second temps, il recense les informations qui concernent les sièges épiscopaux : Naples, Capoue, puis Bénévent et Salerne. Là aussi les récits se font de plus en plus concrets, en évoquant de plus en plus précisément les liens de la fondation avec le passé apostolique. Ainsi, l’idée de l’ordination du fondateur du siège de Naples, Asprène, par Pierre est absente dans la première Vie, rédigée ver 840 : elle apparaît dans la Vie d’Athanase et c’est la réécriture des années 1100 qui insère l’épisode du passage de Pierre à Naples avant qu’il ne se rende à Rome. À Capoue, à côté de la figure de Proterius, le premier évêque, est mise en avant celle de Priscus, qui est présenté aux XIe-XIIe siècles comme un disciple de Pierre. À Bénévent, ce n’est pas le premier évêque qui est magnifié dans sa Vie (IXe ou Xe s.), mais Barba (m. 682), qui a sauvé Bénévent face au siège byzantin, et a mené à son terme la christianisation, installant le Mont Gargan. De même, il n’y a pas de mise en avant des premiers évêques à Salerne. (c’est l’arrivée des reliques de saint Barthélemy qui importe, insistant sur le rôle du prince dans leur venue). Le statut du dirigeant laïc, l’impact de la guerre gothique et l’importance ou non du castrum et de son habitat font que les situations sont très différentes.
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Klaus Krönert – Université de Lille III
Production hagiographique et enjeux politiques à Trèves (Xe-XIe siècle)
Le point de départ du travail de Klaus Krönert est la Vie d’Euchaire, Valère et Materne (BHL 2655), les trois premiers évêques de Trèves, rédigée vers 900. Le potentiel proprement politique de cette œuvre se révèle surtout lors de la querelle dite de primatie entre les Églises de Trèves, Cologne et Mayence aux Xe et XIe siècles, durant laquelle d’autres récits hagiographiques sont également produits.
La Vie d’Euchaire, Valère et Materne insiste essentiellement sur le personnage d’Euchaire, et contient un passage où Materne est ressuscité après l’obtention de la crosse de saint Pierre. La Vie de Pierre par Jérôme sert entre autre de référence, mais des détails topographiques vérifiables ancre le récit dans la réalité de Trèves. Malgré les références à Trèves, la redatation du texte interdit de le placer dans le contexte de la querelle de primatie (même par rapport à Reims au IXe s.). La Vie a en effet été écrite peu après le raid viking dévastateur de 882. Le contexte est sans doute celui de la rivalité, ou plutôt du modèle de Cologne…
Aux Xe et XIe siècles débute réellement la querelle de primatie avec Cologne et Mayence. L’influence de Mayence en particulier devient déterminante, après le couronnement d’Otton en 936.L’archevêque de Mayence reçoit le titre de vicaire, lié à la personne de l’évêque. Cologne prend également de l’ampleur grâce à l’épiscopat de Brunon. Cependant, en 969, Trèves obtient la primatie sur la Gaule et la Germanie : ce titre est attaché au siège lui-même. Le faux diplôme de Sylvestre constitué au milieu du Xe siècle et la Vie des premiers évêques de Trèves servent de justification à cette promotion, Mayence ayant été fondé comme Église seulement au Ve siècle.
Jusqu’à la seconde moitié du XIe siècle, la confirmation de la primatie est une préoccupation constante, le siège de Magdebourg devenant un concurrent sérieux. La mort d’Henri II fournit une occasion de changer la hiérarchie épiscopale, et l’archevêque de Toul, en 1049, confirme la primatie de Trèves. Mais elle est difficile à imposer. À la fin du XIe siècle, avec la Réforme Grégorienne, les conflits entre les grands sièges impériaux perdent de leur importance. Le problème saillant est désormais celui de l’autonomie par rapport à Rome. Les thèmes déjà présents dans les premiers écrits hagiographiques sont repris, mais de façon à correspondre à cette préoccupation. C’est dans ce contexte qu’Egbert fait faire le reliquaire de la crosse de saint Pierre. Le sermon de Thierry sur Euchaire dans la première moitié du XIe siècle insiste sur la comparaison de Trèves avec Rome, de même que les panégyriques d’Euchaire et de Valère, qui les comparent à Pierre. La répétition liturgique des qualités de la cité cherche ainsi à les inscrire dans la réalité.

Discussion
Guy Philippart relève que la question de la « perfidie » des auteurs d’œuvres hagiographiques avancée par Klaus Krönert est intéressante. Ce dernier rappelle cependant qu’il voit réellement la question de la spiritualité et de la défense de la cause de son Église comme deux aspects complémentaires. Pour Jacques Dalarun, ce ne sont pas même deux aspects complémentaires, mais un seul : l’hagiographe a tout d’abord un but de réconciliation à un moment donné et pour une société donnée. Il ne faudrait pas faire à son avis de découpage anachronique au sein de la motivation des rédacteurs médiévaux : l’hagiographie est une réconciliation. Toutes ces Vies sont-elles d’ailleurs toutes lues ? Au moins elles sont une réconciliation pour l’hagiographe lui-même…
François Dolbeau revient sur la question de l’apostolicité. Cette question est apparue à la fin du XIXe et au début du XXe siècle comme une broutille et, de ce fait, elle n’a pas été étudiée pour le sud. Cette question y est cependant bien présente, notamment à Béziers et Narbonne, dans une véritable ascension pour rapprocher le plus près possible du Christ son premier évêque) : Sergius Paulus aurait été ordonné par saint Paul et Aphrodise de Béziers aurait assisté au renversement des idoles au Temple par le Christ. Il faut aller voir aussi les apocryphes : ainsi les fausses épîtres de Martial sont-elles prétendument néotestamentaires. Martin Heinzelmann rappelle que l’on trouve très tôt le terme apostolicus, et donne l’exemple de Martin. Tout grand évêque du haut Moyen Âge est apôtre. Puis les deux sens se distinguent. Ainsi, quand un évêque se présente devant le roi Gontran et lui dit : « sum apostolicus », le roi lui répond : « ah, tu viens de Rome ! ». L’apostolus est aussi le premier évangélisateur d’un lieu pour François Dolbeau : c’est ce sens que défend Adhémar de Chabannes dans tous ses sermons. Klaus Herbers note qu’au Xe siècle les disciples de Pierre et Paul l’emportent finalement sur les disciples du Christ. La tendance romaine de l’époque de la Réforme Grégorienne tend à minorer les traditions de christianisation autres que par Pierre, Paul et leurs disciples. François Dolbeau rappelle l’importance des 72 disciples du Christ évoqués par saint Luc et souligne combien le fait qu’il ne les ait pas cités a stimulé l’imagination des auteurs médiévaux ! Bernard Gui en a fait la liste au XIVe siècle. Monique Goullet rappelle qu’il ne faut pas oublier l’émulation dans la sainteté, dont la revendication d’apostolicité est une forme. Marquant son accord avec l’affirmation de Jacques Dalarun, elle évoque une Église conquérante, qui cherche à installer le Salut.

Colloque de Poitiers - Matinée du 11 septembre


Résumés réalisés par Sylvie Joye

Jeudi 11 septembre – matinée

Présidence de François Dolbeau




Martin Heinzelmann – Institut Historique Allemand, Paris
Conférence plénière
Pouvoir et idéologie dans l’hagiographie mérovingienne
Dans cette communication, Martin Heinzelmann s’attache à la représentation du pouvoir du saint, de celui de l’évêque et de celui du souverain dans l’hagiographie depuis la fin de l’Antiquité jusqu’au VIIIe siècle. La période dite mérovingienne ne peut en effet être considérée de ce point de vue comme un tout homogène, et sa première constatation sur l’«hagiographie mérovingienne» vise à rappeler qu’il n’y a pas eu de coupure avec la période précédente, et que les hommes de la Gaule du très haut Moyen Âge lisaient des textes bien différents de ce que nous désignons par le terme d’« hagiographie mérovingienne ».
Saint Martin est exemplaire des saints tels qu’on les conçoit au début du haut Moyen Âge. Il est considéré comme un «ami de Dieu» et son manteau est capable de contenir le Roi du monde. Ainsi, Martin appartient à une élite de saints capables de faire intervenir Dieu. Il entretient également un lien privilégié avec le roi mérovingien.
Les saints du début de la période mérovingienne, tout comme la liturgie et l’écriture hagiographique de cette époque, doivent être étudiés en parallèle avec ceux des IVe et Ve siècles. Les termes de Majestas et de Potestates, par exemple, sont déjà utilisés. Les notions d’intercession et de clientèle (cf. domnus, patronus) servent déjà à qualifier les relations entre les saints martyrs et le peuple au IVe siècle : ils sont des avocats, des juges, purificateurs et protecteurs. Et, à la fin de ce siècle, ces pouvoirs des saints sont déjà pris en main par les ecclésiastiques, et en particulier les évêques : les reliques sont consignées dans l’église dont ils sont les représentants. L’instrumentalisation du martyr au bénéfice du territoire ou de l’institution ecclésiale est patente. Dès lors, ce fait influence beaucoup l’écriture hagiographique. Les rites sociaux profitent surtout aux évêques, un peu aux abbés et aux ascètes. Les martyrs et les saints orientaux semblent occuper la majeure partie dans les légendiers des débuts de l’époque mérovingienne.
À la fin de l’Antiquité et au début de la période mérovingienne, la théorie des deux Cités, céleste et terrestre, est omniprésente. Ainsi, les œuvres de Grégoire de Tours, qu’ils s’agissent de ses œuvres proprement hagiographiques ou de son œuvre historiographique font partie d’un tout, d’une histoire sainte qui fonctionne selon la logique des deux Cités. Chaque localité souhaite bénéficier de la protection d’un saint qui lui soit propre, et cela semble devenir une véritable nécessité croissante. Une petite moitié des évêques qui ont une Vie au VIe siècle ont réellement vécu au VIe siècle, les autres sont plus anciens. L’évêque jouit d’un pouvoir social et, dans l’idéal, il est censé diriger le peuple de la cité et ce pouvoir est mis en scène en opposition à d’autres pouvoirs. Les Actes des Martyrs dénoncent les mauvais empereurs. En revanche, le roi mérovingien n’est en général pas opposé aux évêques dans les Vies. Au contraire, il lui est associé dans la conduite du peuple chrétien sur terre, où l’Église a déjà installé la cité de Dieu. Les opposants de l’évêque sont d’autres potestates que le roi. Chez Grégoire de Tours, le roi est le partenaire obligé de la direction du peuple chrétien.
À partir de l’époque de Clotaire II et de son édit de 614, les changements sociaux influent sur l’hagiographie. On y constate un épanouissement de la noblesse, même si on ne peut parler d’autosanctification. Des Vies de saints évêques sont encore rédigées dans les endroits pour lesquels il manque encore un avocat céleste. Cependant, elles sont désormais rédigées par des moines. Les évêques perdent leur monopole spirituel dans la cité. La logique des deux Cités est délaissée avec le pragmatisme du VIIe siècle. Ceci constitue une différence fondamentale avec les œuvres de Grégoire de Tours. Ainsi, les miracles, ces actions exceptionnelles des amis de Dieu capables de faire progresser la cité terrestre, se raréfient dans les Vies. Les données concrètes, et en particulier politiques, se multiplient au contraire. À partir de la seconde moitié du VIIe siècle, on peut reconstituer la politique à partir de l’hagiographie, ce qui n’était pas du tout le cas au siècle précédent, où les évocations de la vie politique étaient très elliptiques et n’étaient présentes que si l’hagiographe pouvait en tirer une interprétation spirituelle. Désormais, la façon dont est présentée la Vie du saint dépend des options politiques du rédacteur, et échappe au moule des deux Cités : alors que les biographies antiques des martyrs présentaient la victoire de l’Église universelle sur le diable, les Vies de saints de la seconde moitié du VIIe siècle concernent essentiellement les intérêts du lieu où se trouve la tombe du saint. La représentation du pouvoir terrestre évolue : les moines, liés à la noblesse, sont désormais les principaux rédacteurs d’œuvres hagiographiques. Après une longue tradition théologique de dévalorisation des pouvoirs terrestres, ils valorisent le contexte politique et mettent en valeur l’image de la royauté chrétienne.
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Anne-Marie Helvétius – Université de Paris VIII
Hagiographie et formation des aristocrates dans le monde franc (VIIe-VIIIe siècle)
Cette communication ne s’attache pas tant à la façon dont est représentée l’éducation dans les œuvres hagiographiques (essentiellement la Vie de Didier de Cahors, celle de Colomban par Jonas de Bobbio, la Vie d’Éloi par Ouen, la Vie d’Arnoul de Metz, la Vie de Bathilde, la Vie de Wandrille) qu’au rôle qu’a pu jouer la lecture de ces œuvres dans la formation politique des élites. Anne-Marie Helvétius pense en effet que certaines des Vies rédigées à l’époque s’adressaient en effet prioritairement aux jeunes issus de ces élites destinés au service du roi et du royaume (rappel de l'article de P. Riché sur le palais).
Le choix des anecdotes destinées à décrire les bons comportements chrétiens aux lecteurs vise en effet ce public. Le modèle proposé est celui du jeune aristocrate laïc qui vit comme un moine à la cour du roi. Là aussi, l’idée d’un changement essentiel à l’époque de Clotaire II est évoquée. Anne-Marie Helvétius voit dans le thème du jeune saint ou de la jeune sainte guéri(e) des péchés de ses parents par le saint un rappel non seulement de la pénitence luxovienne, mais aussi de la situation nouvelle de 613. Après les guerres qui ont déchiré les tria regna, la paix doit être rétablie. L’idée de pénitence permet à ce sujet établir un parallèle entre le monachisme et l’exil politique. Le saint des VIIe-VIIIe siècles a d'ailleurs davantage pour vocation de faire perdre aux grands leur manque de finesse, leur rusticité, que de combattre le démon : leur inculquer les valeurs chrétiennes doit permettre le retour de la paix.
La vie monastique constituant le meilleur modèle de vie en commun, celle-ci est présentée comme le modèle de la vie menée par le groupe des jeunes nobles au palais. Un lien direct est de ce fait tissé entre le service du roi et le service de Dieu. Le retrait du monde et la vie monastiques sont présentés comme un choix assumé, comme dans la Vie de Bathilde ou celle d’Arnoul. Les deux ministères sont cependant bien difficiles à concilier. Certains saints refusent ainsi de se rendre auprès du souverain. En revanche, les images du roi et de Dieu se rejoignent au travers du thème de la justice. Par ailleurs, les moines et les moniales, par leurs prières ou leur médiation, agissent pour la résolution des conflits.
Cet argumentaire amène Anne-Marie Helvétius à s’interroger enfin sur les premières tentatives d’imposer la règle bénédictine dans les monastères francs. Peut-être cette volonté d’unification venait-elle du fait que la vie monastique était devenue un modèle pour la vie à la cour ? Les règles et les vertus monastiques ne valant pas seulement pour les moines, la diversité des règles apparaissait ainsi comme un facteur de troubles. Tenter d’imposer une règle unique pouvait donc a contrario apparaître comme un moyen de rassembler les grands autour de valeurs partagées.

Discussion
Les questions se concentrent tout d’abord sur les termes utilisés dans l’exposé. Martin Heinzelmann rappelle qu’on ne peut parler à l’époque mérovingienne d’une cour telle qu’on se la représente pour l’époque carolingienne. Le mot schola existe bien, mais bien souvent il désigne alors un endroit où œuvrent les monétaires. Certes, le terme de cour évoque une réalité administrative, mais il faut prendre en compte le fait que, physiquement, la cour est une réalité très différente de ce que l’on trouve à l’époque carolingienne.
Du point de vue des modèles bibliques, François Dolbeau demande si elle a trouvé dans ses sources le prototype de Daniel à la cour du roi, notamment dans l’évocation du jeûne, de la pénitence, et des visions, car se modèle est présent dans la suite du Moyen Âge. Anne-Marie Helvétius n’a pas trouvé ce modèle : la référence récurrente lui semble être Job.
François Dolbeau note également que l’exposé évoque très peu tout ce qui est antérieur à 614. Que pourrait-on avoir entre 500 et 600 sur ce même thème de l’éducation ? Anne-Marie Helvétius évoque le modèle épiscopal, qui ne disparaît d’ailleurs pas. La figure du rustre s’oppose à celle de l’évêque triomphant. Martin Heinzelmann rappelle que, depuis la fin du Ve siècle, ce n’est plus le modèle de la classe qui domine en matière d’éducation, mais celui du sage qui transmet son savoir à un jeune particulièrement doué. Cette relation personnelle peut être rapproché de l’importance du thème des « nourris ». Ce modèle prévaut jusqu’au changement qui intervient avec les Carolingiens.
Alain Dierkens constate que le contexte de 743/744 est un peu le même que celui qu’Anne-Marie Helvétius évoque à propos de la possible première tentative d’unification des règles monastiques selon le modèle bénédictin. Y a-t-il des citations de la règle bénédictine dans les textes liés aux Pippinides avant 743/744 ? Alain Dierkens pense qu’il y en a sans doute depuis le début du VIIIe siècle ? Cependant, il serait difficile de déterminer à quel moment ces extraits ont pu être placés dans les textes. François Dolbeau rappelle que cette recherche serait d’autant plus difficile qu’en réalité il y avait essentiellement des règles mixtes, qui empruntaient en partie à Benoît. : on ne peut voir à quelle règle sont pris les passages… Même la règle de Colomban fut en réalité un instrument de la règle bénédictine.
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Jean-Michel Picard – University College Dublin
Les hagiographes irlandais et le concept d’une nouvelle royauté en Irlande au VIIe siècle
Les études sur la royauté irlandaise avant l’époque anglo-normande ont dégagé un modèle différent de celui du continent, avec une multiplicité de royaume correspondant à celle des túath (plus d’une centaine, répartis en cinq provinces au haut Moyen Âge). Les informations livrées par les récits hagiographiques et annalistiques semblent par les écrits en gaélique des VIIe et VIIIe siècles semblent contradictoires sur cette fonction royale.
Si l’introduction du christianisme apparaît bien comme un facteur de changement important de la société à partir du Ve siècle, cette contradiction vient tout d’abord du modèle de royauté unique qui est présenté comme idéal par ces sources d’origine monastique, malgré la réalité de la multiplicité des royaumes irlandais. En plus de la dimension religieuse, cette évolution est due aussi au fait que ce modèle est élaboré dans les grands monastères liés à la famille royale qui a tendance à prendre le pas sur les autres, les Uí Néill de Tara.
L’expression Rex totius Hiberniae apparaît ainsi dans les annales d’Irlande à la fin du VIIe siècle, mais l’affirmation d’un imperium et d’une ordination royale est plus nette encore dans la Vie de Columba rédigée par Adomnán, abbé d’Iona issu de la famille des Uí Néill. Il ; n’évoque pas seulement l’idée d’une royauté unique (que l’on trouve déjà dans la Vie de saint Patrick) mais aussi celle d’une royauté de droit divin, totalement étrangère à la tradition irlandaise. La Vie de Columba met fortement en valeur le caractère divin et héréditaire de la royauté, en mettant notamment en scène une cérémonie de sacre avec imposition des mains et bénédiction, un ange apportant le livre de verre sur lequel est décrit le rituel à accomplir.
Bien qu’on ait en réalité fort peu de sources sur le sacre des rois irlandais, ces récits ont une influence sur la conception générale de la royauté en Irlande. Alors que jusque là le meurtre du roi entraînait le paiement d’une composition, il est désormais puni par la mort par l’eau, le bois, le feu. De même, ce sont certains péchés qui peuvent interdire l’accès au trône, alors qu’auparavant c’étaient les tares physiques. Surtout, l’obtention de cette royauté unique et chrétienne est devenu le but auxquels aspirent les quelques souverains qui réussissent à étendre par la force leur pouvoir sur la majeure partie de l’île.

Discussion
Jean-Michel Picard annonce qu’il prépare une édition critique et commentée de la Vie de sainte Brigitte.
La discussion porte sur le livre de verre apporté par l’ange, avec la description du couronnement. Est-il décrit comme un livre de verre à cause de son aspect divin.
Robert Halleux pense que l’usage du terme vitreus rend cette interprétation peu probable : le verre n’est pas considéré comme un matériau noble à ces époques, et le terme vitreus ne peu renvoyé au cristal, matière noble qui aurait été plus appropriée pour évoquer cet aspect. Ne pourrait-il pas s’agir de l’évocation d’un vitrail : on a retrouvé des fragments de vitraux mérovingiens près de Rouen qui portaient des inscriptions ?
François Dolbeau pense que ce livre fait sans doute référence au Livre de Vie, et est donc lié à l’Apocalypse.

Un compte-rendu du livre de M. J. Enright sur le problème de l'onction en Irlande et chez les Francs : http://mdzx.bib-bvb.de/francia/Blatt_bsb00016292,00266.html