mercredi 25 novembre 2009

Les recueils hagiographiques (2009-2010)


L'IRHT lance un cycle thématique consacré à l'hagiographie : en 2009-2010, deux journées d’études consacrées aux recueils hagiographiques, la première le jeudi 3 décembre 2009, la seconde le jeudi 27 mai 2010.

L’importance de la littérature hagiographique pour notre connaissance de l’histoire des sociétés médiévales d’Orient et d’Occident n’est plus à démontrer ; en témoigne en particulier l’intérêt suscité par l’abondante production manuscrite dans ce domaine, aussi bien en latin ou dans les langues romanes que du côté byzantin et des christianismes orientaux, mais aussi dans le monde musulman, aussi bien en arabe et en persan qu’en turc. Or, un texte hagiographique est rarement isolé dans les manuscrits : il fait partie intégrante d’un groupe de textes, d’un corpus ou d’une collection, au travers desquels il est habituellement transmis et au sein desquels il interagit avec d’autres écrits.

Dans le cadre de ces journées d’étude, on s’intéressera donc à la constitution des recueils hagiographiques, à leur production et à leur usage. Pour reprendre le vocabulaire du monde latin, on évoquera les grandes collections de vies de saints, classées selon un ordre liturgique ou méthodique, mais aussi les recueils structurés consacrés à un genre, à un type de sainteté particulière (par exemple, les apôtres, les femmes ou les ascètes), à un ordre, à un établissement ou à un saint particulier.

Le descriptif du projet se trouve sur le site de l'IRHT

vendredi 20 novembre 2009

Appel à communications (IMS) : Translatio

L'International Medieval Society consacre son colloque de 2010, en collaboration avec le LAMOP/Paris I Panthéon Sorbonne, au thème de la translatio. Le colloque se tiendra à Paris du 24 au 26 juin 2010.
Un titre et un résumé de moins de 300 mots doivent être envoyés avant le 15 janvier 2010 à contact[at]ims-paris.org
Descriptif détaillé de la rencontre disponible sur le site de l'IMS : http://www.ims-paris.org/Symposium%2010/Translatio10CFP.pdf

Du nouveau sur saint Eloi


Auteur : Charles Mériaux

Le 17 janvier 2009 une table ronde s’est tenue à Paris autour de la Vie de saint Éloi à l’initiative du groupe HagHis. Cette manifestation a rassemblé une trentaine de participants. Son objectif était de confronter des points de vue de plus en plus convergents au sujet de ce texte considérable pour l’histoire politique et religieuse de la période mérovingienne. Sont successivement intervenus Isabelle WESTEEL (Lille, Conseil Régional du Nord Pas de Calais), Michèle GAILLARD (Université de Metz) et Christian SAPIN (Dijon, CNRS) ainsi que Clemens BAYER (Bonn). Les séances ont été présidées par François DOLBEAU et Martin HEINZELMANN. Les remerciements des organisateurs s’adressent à tous les intervenants ainsi qu’à ceux qui ont rendu matériellement possible l’organisation de cette rencontre : Monique GOULLET (CNRS, LAMOP), Stéphane LEBECQ (Université Lille 3) et Michel SOT (Université Paris Sorbonne).

Le présent compte rendu ne prétend pas épuiser la richesse des interventions (un résumé des interventions de la matinée est consultable ici, le résumé des autres interventions sera mis en ligne prochainement), mais souhaiterait proposer un bilan des idées qui ont pu être échangées, en rappelant brièvement les éléments du problème, en livrant les conclusions qui semblent désormais acquises concernant l’auteur de la Vie d’Éloi et, enfin, en se faisant l’écho des pistes de recherche que les intervenants ont eu l’occasion de suggérer. Dans la mesure du possible, ce compte rendu renverra aux travaux publiés. Les références aux chapitres de la ‘Vita’ seront données d’après l’édition de Bruno Krusch et les citations tirées de la traduction d’Isabelle Westeel.

1. Éloi monétaire et évêque de Noyon/Tournai

Il n’est peut être pas inutile de présenter rapidement le personnage (cf. Vacandard 1911, Poulin 1986, Scheibelreiter 2004). Éloi est né à la fin du VIe siècle en Limousin, à Chaptelat (I 1). Il fit son apprentissage d’orfèvre à Limoges auprès du monétaire Abbon (I 3) avant de gagner le palais de Clotaire II (629 † 639) et d’y servir sous les ordres du trésorier Bobon (I 4). Il se serait alors fait remarquer en façonnant deux sièges avec l’or qui était prévu pour un seul, preuve d’habileté et d’honnêteté (I 5). Sous le règne suivant, celui de Dagobert Ier (629 † 639), il continua ainsi à servir à la cour en tant qu’orfèvre, monétaire ou ambassadeur (en Armorique : I 13). C’est à cette époque qu’il fonda le monastères de Solignac (I 15-16) ainsi qu’une communauté féminine à Paris, confiée à une abbesse nommée Aure (I 17), et qu’il rénova la basilique Saint-Martial de Paris (I 18). En 640, un an après la mort de Dagobert, il fut élu évêque de Noyon et de Tournai (puisque les deux sièges étaient réunis depuis l’épiscopat de son prédécesseur Achaire). Éloi fut consacré l’année suivante le jour de l’Ascension, le 13 mai 641 (II 2). Lors de la même cérémonie, son ami le référendaire Ouen, était ordonné évêque métropolitain de Rouen. Un bon nombre d’autres jeunes gens « nourris » à la cour – Sulpice de Bourges (624 † 646/647), Didier de Cahors (630 † 655) – avaient déjà connu (ou connurent ensuite) ce type de responsabilité, continuant à servir le roi après avoir embrassé une carrière ecclésiastique. Par certains côtés, la nomination épiscopale d’Éloi suggère aussi une mise à l’écart de la cour (qui n’est peut-être pas étrangère à la nécessité que l’on éprouva plus tard de rédiger sa ‘Vita’). Éloi continua cependant à s’acquitter de fonctions officielles puisque sa biographie le montre en voyage en Provence (II 11 et 13), dans la vallée de Rhône (II 12), à Limoges et à Bourges (II 15), ainsi qu’à Paris (II 18). Éloi resta aussi très lié à certaines figures de la cour neustrienne, en particulier la reine Bathilde qui exerça la régence en Neustrie dans les années 657-665. La ‘Vita’ d’Éloi s’étend sur ses travaux pastoraux. Elle cite de nombreux extraits de ses prédications (II 16-17). Il semble aussi qu’il faille attribuer à Éloi la réorganisation du diocèse du Vermandois dont le siège fut à cette époque définitivement fixé à Noyon où il fonda un monastère de femme dans le ‘suburbium’ (II 5). À cette réorganisation doit sans doute être rattachée également la promotion de la basilique Saint-Quentin, située au nord du diocèse, par la réactivation du culte de ce martyr (II 6 ; cf. Sapin 2009). Éloi mourut le 1er décembre 660 et fut inhumé dans une basilique suburbaine qui prit très rapidement son nom.

Cette brève esquisse biographique est fondée sur la ‘Vita’ d’Éloi. Mais d’autres sources se font l’écho de ce parcours. Outre quelques Vies de saints contemporains (Colomban, Amand), une lettre d’Éloi à Didier de Cahors (I 10) rappelle l’étroitesse des liens noués à la cour de Clotaire II et de Dagobert entre tous les ‘nutriti’. On conserve également un grand nombre de monnaies au nom d’Éloi frappées à Paris, Marseille et Arles. Le fait que son nom apparaisse sur la monnaie du palais (d’ordinaire anonyme) suggère l’importance du personnage bien que la ‘Vita’ ne fasse à aucun moment mention de ses activités de monétaire, alors que sont rappelés les talents d’orfèvres qu’il continua à exercer une fois devenu évêque en décorant les tombeaux de nombreux saints : Martin, Denis ainsi que plusieurs martyrs du nord de la Gaule (I 32, II 6, II 7). Éloi participa aux conciles d’Orléans (639/641) et de Châlons (647/653). Le rôle qu’il continua à jouer à la cour est attesté par sa souscription au bas de plusieurs actes royaux ou épiscopaux, en particulier une confirmation de Clovis II donnée en 654 dont l’original est toujours conservé et qui révèle la souscription autographe de l’évêque de Noyon (éd. Kölzer n° 85). Qu’Éloi ait été impliqué dans les rivalités politiques, avant et après son épiscopat, pourrait enfin expliquer qu’il ne soit curieusement pas mentionné dans la chronique de Frédégaire.

2. La Vie d’Éloi et la critique

La Vie d’Éloi (BHL 2474) est un texte considérable construit en deux livres, sur le modèle de la ‘Vita Martini’ : le premier rappelle les événements survenus lorsqu’Éloi était encore laïc, le second présente les actions du saint après son élection à l’épiscopat. Le premier livre comprend 40 chapitres et le second 80 (même si la tradition manuscrite n’est pas unanime sur ce point). L’ensemble est précédé d’un prologue où l’auteur explique son projet. Cet auteur est saint Ouen, ancien référendaire de Dagobert Ier devenu évêque au même moment qu’Éloi, mais dont l’épiscopat fut beaucoup plus long (641 † 684) : certains manuscrits de la ‘Vita’, parmi lesquels les plus anciens, comprennent en effet la lettre d’envoi de saint Ouen à l’évêque Chrodebert de Tours et la réponse de celui-ci (BHL 2475 et 2476). Autant d’éléments qui, au Moyen Âge et à l’époque moderne, ont plaidé en faveur de l’authenticité de la ‘Vita’. En 1848 cependant, Friedrich Wilhelm Rettberg fut le premier à attirer l’attention des érudits sur certaines anomalies qui pouvaient contredire l’attribution à saint Ouen.

La démonstration décisive fut ensuite donnée par Bruno Krusch qui livra en 1902 une édition partielle de la ‘Vita’ pour la collection des ‘Monumenta Germaniae Historica’ dans la série des ‘Scriptores rerum Merowingicarum’ (Krusch 1902). Pour Bruno Krusch, la ‘Vita’ telle qu’on la lit aujourd’hui serait en fait un remaniement du texte de saint Ouen par un clerc qui cherchait à présenter son modèle sous des traits plus proches des sensibilités religieuses de son temps, marquées par l’activité réformatrice « romaine » de l’Anglo-Saxon Boniface depuis les années 720. En raison du récit développé des funérailles d’Éloi (II 36-37) puis d’une longue série de miracles opérés sur la tombe du saint au monastère Saint-Éloi de Noyon (II 40-66), Bruno Krusch imaginait que l’auteur était un clerc de l’établissement, ce qui n’était assurément pas un argument absurde. Plus contestable en revanche est la manière dont Bruno Krusch a cherché à débusquer toutes les préoccupations « carolingiennes » de ce clerc noyonnais. Ce faisant, il adoptait une position étonnante car il reconnaissait par ailleurs avec Godefroid Kurth que le remaniement de la Vie d’Éloi ne pouvait être postérieur au tout des débuts des années 740, date à laquelle l’auteur de la Vie de saint Lambert de Liège fit usage de la ‘Vita Eligii’ dans son œuvre. Il faut savoir aussi que les arguments historiques rassemblés par Bruno Krusch procédaient d’une autre conviction. La qualité de la latinité de la ‘Vita Eligii’ ne correspondait absolument pas à l’idée qu’il se faisait du style d’un hagiographe mérovingien. Bruno Krusch a donc mené un procès à charge contre l’authenticité du texte, montant en épingle des passages mineurs et usant d’arguments curieux qui relèvent par endroit d’une mauvaise foi confondante. Enfin la méfiance viscérale de Bruno Krusch à l’égard du texte et de son supposé remanieur explique pourquoi il n’en a proposé qu’une édition très partielle, évacuant tous les passages sans intérêt proprement historique. Ce choix rend aujourd’hui encore indispensable l’utilisation de l’édition de Joseph Ghesquière (1785), plus complète que celle de Luc d’Achery (1661) reprise dans la Patrologie latine.

Les conclusions de Bruno Krusch furent immédiatement acceptées par la critique. On relèvera en particulier l’assentiment donné par le Père Poncelet (Poncelet 1902) ; par le chanoine Vacandard, auteur d’une biographie de saint Ouen publiée la même année (Vacandard 1902 ; Vacandard 1911) ; ou encore par Léon van der Essen (Van der Essen 1907, p. 324-336). En 1956, le Père Stracke publia une longue étude reprenant le point de vue de Krusch concernant l’interpolation du texte, mais en faisant intervenir le remanieur plus tôt, dès la fin du VIIe siècle, en supposant toutefois qu’il avait écrit à Rouen. Il lui attribuait les éloges que Krusch avait écartés de son édition en raison de leur absence d’intérêt d’un strict point de vue historique. Rédigé en néerlandais, l’article de Stracke ne rencontra aucun écho. Mais sa thèse reste révélatrice de la fascination qu’exerçait Krusch et de la nécessité qu’on éprouvait de défendre jusqu’à l’absurde l’idée d’un texte remanié.

Assez curieusement les historiens ont adopté deux types de comportements à l’égard de la thèse de Krusch. D’une certaine manière, le Père Poncelet avant bien posé le problème en 1902 dans la recension qu’il fit du 2e vol des ‘Scriptores rerum Merowingicarum’ en rappelant que l’opinion de Krusch ne disqualifiait pas l’ensemble des données de la Vie primitive de saint Ouen « noyées dans la rédaction du moine carolingien ». « Le tout [était] de reconnaître celles qui [étaient] vraies et justes » (Poncelet 1902). Mais hormis sous la forme de rapides précautions liminaires, les historiens se sont peu pliés à cet exercice. Partant du principe que les informations du remanieur « carolingien » provenaient peu ou prou de la Vie primitive perdue, beaucoup ont en fait ignoré la distinction opérée par Krusch et considéré qu’ils disposaient d’informations qui de toute manière remontaient au texte de saint Ouen. Pratiquement, on observe donc une utilisation parfaitement arbitraire de la ‘Vita Eligii’.

Inversement, le jugement de Bruno Krusch a pesé (et pèse encore) lourdement. Robert Markus a ainsi proposé de voir dans le remanieur un membre de l’entourage du réformateur anglo-saxon Boniface qui aurait aussi dressé la liste des superstitions contenue dans un document que les historiens nomment ‘Indiculus superstitionum et paganiarum’ annexé aux actes du concile de Leptinnes de 743 (Markus 1992, p. 166-167). Plus récemment, Yitzhak Hen a publié une étude sur la culture et la vie religieuse en Gaule mérovingienne dont le propos global est d’atténuer la légende noire qui pèse sur cette période. Sous prétexte que la ‘Vita’ glisse quelques allusions – mais extrêmement limitées au regard de l’étendue de l’œuvre – sur le paganisme régnant dans le nord de la Gaule, Y. Hen prolonge les vues de Krusch et imagine que l’auteur de la ‘Vita Eligii’ participe en quelque sorte à la ‘damnatio memoriae’ de la dynastie et de l’Église mérovingiennes. Pour les besoins de la démonstration, la ‘Vita’ devient ainsi « le joyau de la couronne de l’hagiographie carolingienne (‘the jewel in the crown of Carolingian hagiography’) » (Hen 1995, p. 196 ; Hen 2000, p. 238-239). C’est aller beaucoup plus loin que Krusch lui-même qui, on l’a dit, acceptait une datation du texte dans le second quart du VIIIe siècle. Or le terme d’hagiographie carolingienne renvoie davantage, semble-t-il, aux œuvres d’Alcuin ou de ses successeurs du IXe siècle. Il est piquant de constater qu’Y. Hen n’a pas vu que sa démonstration aurait été beaucoup mieux servie s’il avait envisagé l’authenticité de la ‘Vita’. L’entêtement d’Y. Hen à suivre Krusch est d’autant moins compréhensible qu’il disposait alors de travaux qui avaient commencé à ébranler les théories du monumentiste.

La Vie de saint Éloi a en effet été examinée par Michel Banniard dans sa thèse publiée en 1992 (Banniard 1992a). Michel Banniard n’a pas discuté point par point les affirmations de Krusch, mais il a mis en évidence la profonde cohérence du texte – et en particulier du prologue – dans le contexte « sociolinguistique » de la Gaule du VIIe siècle. M. Banniard se fondait aussi sur l’examen de la Vie mérovingienne de saint Riquier et la seconde Passion de saint Léger par Ursin. Le prologue de la ‘Vita Eligii’ justifie l’usage d’un « langage simple » (‘sermo simplex’) et manifeste la volonté de l’auteur de s’adresser à un vaste public sans pour autant choquer les plus savants, deux exigences qui ne sont donc pas encore incompatibles, mais qui le devinrent à partir du dernier quart du VIIIe siècle dans le contexte de la Réforme carolingienne. Michel Banniard soulignait au passage le caractère topique de cette affirmation en relevant les qualités littéraires de l’œuvre. Dans une étude entièrement consacrée à la ‘Vita Eligii’ publiée également en 1992, M. Banniard étendit son argumentation et l’appliqua en particulier aux extraits de sermons conservés dans la ‘Vita’. Comme son propos n’était pas de combattre de front les arguments de Krusch, Michel Banniard n’abandonnait pas complètement la thèse de l’interpolation mais cantonnait les interventions du remanieur dans la seconde partie du second livre, c’est-à-dire lorsque sont évoqués les miracles ‘post mortem’ du saint (Banniard 1992b, p. 64).

Au même moment, Isabelle Westeel entreprenait une étude de la ‘Vita Eligii’ dans le cadre d’une thèse d’École des chartes qui fut présentée en 1994. Cette thèse donna lieu à la publication de deux études en 1999 et 2005 et surtout à celle d’une traduction de la ‘Vita Eligii’ en 2002, complétée en 2006 par une nouvelle édition comprenant les extraits des sermons omis dans la publication de 2002. Contrairement à la traduction anglaise réalisée à peu près au même moment (MacNamara 2000), Isabelle Westeel a pris le parti de donner la traduction de l’ensemble de la ‘Vita’, non plus sur la base de l’édition, certes critique mais tronquée, de Krusch, mais en se fondant sur l’édition de la Patrologie latine reprenant celle de Luc d’Achery de 1661.

Isabelle Westeel a eu aussi l’occasion de compléter la liste des manuscrits du texte qu’elle a porté à une bonne centaine alors que Krusch n’en avait retenu qu’une petite vingtaine pour établir son édition (Westeel 2002, p. 145-146 ; Westeel 2006, p. 141-142). Mais elle a surtout attiré l’attention sur une famille de manuscrits dont Krusch n’avait retenu qu’un témoin, Paris BNF lat. 5365 du XIIe siècle, en le reléguant dans la classe 7 de son édition. Or deux manuscrits supplémentaires ont été découverts qui sont l’un et l’autre des ‘libelli’ entièrement consacrés à saint Éloi et qui proviennent de l’abbaye de Solignac. Le premier, Tours BM 1028, est daté de la fin du Xe ou du début du XIe siècle et a sans doute été copié sous l’abbé Amblard avant d’être envoyé au trésorier de Saint-Martin de Tours Hervé comme en témoigne un billet édité par Mabillon. Le second ‘libellus’ est conservé au Musée Condé de Chantilly où il porte la cote 739. Il date du XIe siècle. Ces découvertes font ainsi apparaître l’existence d’une véritable famille « limousine », ancienne, qui a pour particularité de contenir quatre passages interpolés (I 31, II 19, II 20, II 32) dont certains étaient connus de Krusch mais qu’il considérait comme ajoutés tardivement (Westeel 2002, 1999, 2005 et 2006 ; sur ces ‘libelli’, voir aussi Poulin 2006, p. 88-89).

Tout en pointant les arguments de plus en plus favorables à une attribution du texte à saint Ouen (attestée dans l’’incipit’ des manuscrits les plus anciens ainsi que dans la correspondance entre Ouen et Chrodebert, on l’a dit) et certaines faiblesses de l’argumentation de Krusch, Isabelle Westeel restait cependant prudente et s’en tenait encore à la thèse du remaniement à Noyon au VIIIe siècle (Westeel 1999, 2002). Il semble en définitive que l’on puisse appliquer au dossier hagiographique d’Éloi la métaphore utilisée par François Dolbeau comparant, dans le domaine de la critique, les attributions fautives à des erreurs judiciaires « qui obligent à une lourde procédure en appel » (Dolbeau 1999-2000, p. 49). L’autorité de Bruno Krusch explique la chape de plomb qui a recouvert les études consacrées à la ‘Vita Eligii’ pendant près d’un siècle alors même que s’accumulaient progressivement des arguments contraires.

3. L’authenticité de la Vie d’Éloi

Plusieurs études défendent donc aujourd’hui franchement l’authenticité globale de la ‘Vita Eligii’. François Dolbeau s’est exprimé brièvement à ce sujet dans son édition du dossier hagiographique de sainte Aure, abbesse du monastère fondé à Paris par Éloi peu après 632 (Dolbeau 2007) ; Clemens Bayer a consacré une longue notice à la ‘Vita Eligii’ dans le ‘Reallexikon der Germanischen Altertumskunde’ (Bayer 2007) ; et Christophe Jauffret a soutenu une thèse sur la ‘Vita’ en 2008 à l’Université d’Aix-en-Provence sous la direction du Professeur Carozzi. Il convient donc rapidement de reprendre les principaux arguments en faveur de l’authenticité.

Certains commentateurs ont parfois relevé l’absence de la ‘Vita Eligii’ dans des manuscrits anciens. Le témoin le plus ancien est aujourd’hui Bruxelles BR 5374-75 copié, selon B. Bischoff, dans le nord-est de la Gaule dans le deuxième quart du IXe siècle. On rappellera cependant qu’à l’exception de la Vie de saint Wandrille, il n’existe aucun manuscrit « mérovingien » des Vies de saints composées à l’époque mérovingiennes. Tout au plus aurait-on pu attendre de voir figurer la ‘Vita Eligii’ dans les premiers légendiers composés à la fin du VIIIe siècle, mais la longueur du texte représentait aussi un obstacle qui a pu décourager les copistes.

On doit surtout souligner l’attitude incohérente de Kruch dans sa manière de concevoir la transmission du texte. Krusch tenait en effet pour parfaitement authentiques la lettre d’accompagnement de la ‘Vita’ adressée par Ouen à son confrère Chrodebert de Tours et la réponse de ce dernier confirmant qu’il avait bien pris copie de l’œuvre (Krusch 1902, p. 650). Ces deux lettres figurent dans plusieurs manuscrits, dont le légendier de Bruxelles du IXe siècle et les ‘libelli’ limousins. Or les travaux de François de Dolbeau ont montré que ce type de pièces annexes accompagnant les textes avaient vocation à disparaître et que leur conservation par les copistes successifs était au contraire un argument très fort en faveur de l’authenticité de ces mêmes textes. « La transmission rapide du texte dans une vaste région, l’unanimité des rubriques, le fait que des témoins de plusieurs branches aient préservé les billets échangés, au moment de l’édition, entre Ouen et Chrodebert de Tours rendent fort improbable l’hypothèse d’un remaniement qui aurait recouvert et éliminé la version primitive » (Dolbeau 2007, p. 21).

D’autre part, les arguments d’ordre historique invoqués par Krusch pour contester la datation mérovingienne de la Vie d’Éloi ne sont plus admis par aucun historien (Bayer 2007, 468-470). Krusch avait en effet relevé des éléments qu’il jugeait anachronique : la tonsure romaine d’Éloi (I 31) ; la remise des revenus fiscaux à l’église de Tours (I 32) ; la mention de clercs (et non de moines) desservant les basiliques de Saint-Denis et de Saint-Éloi de Noyon (I 23, II 65-66) ; et enfin le récit que la ‘Vita’ donne de la crise monothélite (I 33), en datant le synode du Latran réuni en octobre 649 du début règne de Clovis II (639 † 657). Autre point, Krusch dénonçait aussi l’utilisation par saint Ouen, de la première ou de la troisième personne, ce qui en réalité s’explique simplement par des changements de perspective dans la narration.

Un dernier phénomène demande toutefois à être expliqué. Il s’agit de l’accumulation de miracles ‘post mortem’ réalisés auprès du tombeau d’Éloi et qui invitaient Krusch à localiser à Noyon le remaniement du texte de saint Ouen. Il faut d’abord constater que ces miracles, quand ils peuvent être datés, semblent tous avoir lieu du vivant d’Ouen. Il n’existe aucun indice de miracles très postérieurs justifiant la datation d’un remaniement ou d’un complément dans les années 720 ou 740. D’autre part, Clemens Bayer a pu identifier trois séries de miracles posthumes, homogènes d’un point de vue narratif, sur lesquels s’achève le texte (Bayer, 496-501) : une première collection rassemblée à Saint-Éloi autour de la tombe du saint (II 39-66) qui se fait aussi l’écho des intérêts de cette communauté et explique la présentation défavorable de l’évêque Mommelin, successeur d’Éloi ; une seconde collection de miracles opérés par les reliques disposées ailleurs qu’à Noyon (II 67-75) et enfin une collection beaucoup plus brève de miracles opérés dans les palais royaux où Éloi eut l’occasion de séjourner (II 76-79). Ce classement « géographique » est vraisemblablement du fait de l’auteur, saint Ouen, qui a seulement mis en ordre des matériaux documentaires adressés par des correspondants, ce qui explique aisément les changements de perspectives dans la narration et les différences de style constatés par Michel Banniard. L’association de l’abbé Sparvus de Noyon au travail de saint Ouen est un point qui a aussi été souligné par Christophe Jauffret (Jauffret 2008a, vol. 1, p. 317). D’autres discontinuités narratives peuvent être interprétées de manière analogue par l’introduction de textes fournis à saint Ouen : il en va ainsi de l’invention des reliques de saint Quentin qui fait l’objet d’un long compte rendu (au regard des autres inventions de reliques mentionnées de manière beaucoup plus sèche) et, bien entendu, des extraits de sermons insérés en II 16-17.

4. Pistes de recherche

Grâce aux travaux qui viennent d’être évoqués, il semble que l’on puisse considérer comme établie l’attribution de la ‘Vita Eligii’ à saint Ouen. Les implications de cette attribution sont considérables du point de vue de l’histoire intellectuelle et administrative car on ne peut oublier que saint Ouen fut référendaire de Dagobert, en quelque sorte le second personnage de l’État, et qu’il conserva, plus qu’Éloi, un rôle important dans les affaires politiques du royaume de Neustrie jusqu’à sa mort. Un seul diplôme authentique peut être aujourd’hui attribué à l’activité d’Ouen à la cour (éd. Kölzer n° 41), ce qui est bien peu. Comme la Vie d’Éloi est une pièce à verser désormais sans réserve au dossier de la « culture » des élites mérovingiennes, on ne peut plus considérer comme décadente une chancellerie dont le chef a pu produire une telle œuvre dans la suite de sa carrière, ce qui rejoint des observations faites récemment à propos d’autres sources (Gioanni 2009). Se pose aussi le problème de la formation de ces élites et des lieux où elles pouvaient recevoir une instruction aussi poussée. Ce constat optimiste ne clôt cependant pas certains problèmes que pose la tradition du texte et qu’il conviendrait d’éclaircir à l’avenir.

Dans le prologue, saint Ouen fait état de biographies plus anciennes que la sienne mais plus brèves aussi, composées par des « laïcs très érudits » qui, « engagés dans les affaires du siècle […] ont terminé leur œuvre avec trop de précipitation » (prologue). Krusch et les Bollandistes ont en effet repéré des formes brèves de la ‘Vita Eligii’ sans pour autant leur accorder une importance équivalente. Krusch les rangeait dans la classe 1 de son édition ; les Bollandistes leur attribuèrent un numéro particulier dans leur ‘Bibliotheca hagiographica latina’ (2477), distinct de celui de la ‘Vita’ proprement dite (2474). Or Clemens Bayer se demande si l’on ne tiendrait pas là, plutôt qu’un abrégé, un des textes primitifs (ou le texte primitif) mentionné(s) par saint Ouen dans sa préface (Bayer 2007, p. 518). Il faut savoir qu’une tout autre hypothèse pourrait aussi être formulée car dans la préface du livre II, saint Ouen laisse entendre qu’il s’est arrêté quelques temps avant de reprendre son œuvre. Or une des particularités de la première classe de manuscrits distinguée par Bruno Krusch est de proposer un texte limité au seul livre I et caractérisé par une langue moins soignée. Dans ces conditions on pourrait se demander si cette classe de manuscrits ne refléterait pas l’état primitif du livre I, mis en circulation sans préface (Bayer 2007, p. 472). Les deux hypothèses seront sans doute difficiles à accorder car l’une et l’autre devront être examinées à la lumière d’un même texte aujourd’hui conservé dans le grand légendier de l’abbaye de Saint-Gall daté de la fin du IXe siècle ou du début du siècle suivant (Zürich Zentralbibl. C10i).

D’autre part, en se fondant sur les découvertes d’Isabelle Westeel, Clemens Bayer s’est demandé s’il n’y aurait pas lieu de dater précisément la recension « limousine » de la Vie d’Éloi qui, on s’en souvient, se distingue par quatre passages « interpolés » (Bayer, 470). Clemens Bayer s’est ainsi employé à montrer que ces passages devaient être pris au sérieux, particulièrement en raison du témoignage de l’évêque Ansoald de Poitiers (interp. II 20) ou encore du récit d’un conflit entre Éloi et l’évêque de Paris Landry qui fut tranché par un concile (interp. II 19) auquel pourrait précisément faire écho le privilège original du roi Clovis II de 654 en faveur de l’abbaye de Saint-Denis, souscrit par une quarantaine de participants dont Éloi et Landry. Pour Clemens Bayer, ces « interpolations » proviendraient en réalité d’une révision de peu postérieure à la mort d’Ouen (684), après la mort de Thierry III en 690/691 (interp. de II 32) mais avant la fin de l’épiscopat d’Ansoald qui intervint vers 697 (interp. II 20). Comme l’a souligné François Dolbeau lors de la discussion, rien ne prouve toutefois que ces quatre « interpolations » soient à mettre sur le même plan et qu’elles aient été introduites au même moment et par la même personne. Il reste cependant envisageable que le passage relatif au concile de Paris, en raison de sa précision d’ordre historique, témoigne bien d’une rédaction primitive et non d’une interpolation postérieure. C’est un point de vue qui a également été proposé, quoique de manière légèrement différente, par Christophe Jauffret (Jauffret 2008a, vol. 1, p. 325-332).

Comme l’a souligné François Dolbeau, l’intérêt de l’édition « limousine » tient sans doute davantage au fait que ses témoins ont tous circulé en compagnie d’une Vie que l’on nomme généralement « métrique », mais qui pose en réalité des problèmes de composition formelle (Bayer 2007, p. 516-518). Cette Vie métrique se réclame ouvertement du texte en prose composé par saint Ouen ; elle introduit également un éloge de la ville de Noyon. Dans ces conditions, son dernier éditeur Karl Strecker (1923) a considéré qu’il s’agissait d’une composition carolingienne (VIIIe-IXe siècle) d’un clerc de cette même cité. En réalité, la présence de la Vie métrique dans la recension limousine ainsi que dans le manuscrit 5374-75 de Bruxelles (du IXe siècle) invite à reconsidérer non seulement la date de la rédaction de cette version métrique, peut-être relativement proche de celle de la Vie en prose, mais plus largement celle de la composition du ‘libellus’ relatif à saint Éloi et comprenant les deux textes. Il est d’ailleurs significatif que Sigebert de Gembloux († 1112) – qui a vraisemblablement eu en main le manuscrit carolingien de Bruxelles – ait considéré la Vie métrique comme le troisième livre de la ‘Vita’.

L’attribution de la ‘Vita Eligii’ à saint Ouen doit enfin conduire à une révision du jugement de Krusch concernant les extraits de sermons copiés en II 16-17. Krusch avait en effet constaté qu’une partie de ces extraits avait circulé de manière indépendante et qu’on pouvait les lire dans trois manuscrits dont le plus ancien remonte au VIIIe siècle (Saint-Gall 194). Ceci représentait à ses yeux un gage d’authenticité, mais fournissait aussi la preuve que l’interpolateur de la ‘Vita’ les avait ensuite truffés de passages essentiellement tirés de Césaire d’Arles et de Martin de Braga. Loin d’être les sources du chimérique interpolateur, ces emprunts doivent donc être attribués à Éloi lui-même. De nouvelles recherches sur la prédication d’Éloi devraient aussi prendre en considération une hypothèse de Dom Dekkers, restée relativement confidentielle, proposant d’attribuer à Éloi la paternité d’un florilège édité par Albert Lehner (Lehner 1987, p. 55-127 ; Dekkers 1989). Ce florilège fut composé dans la 12e année du règne de Dagobert, donc en 633/634, ce que semble confirmer l’absence d’extraits tirés d’ œuvres d’Isidore de Séville († 636). Dans les années 630, Éloi était certes monétaire à la cour, mais, dit saint Ouen, « lisant et relisant les livres saints […], comme un très prudente abeille butinant de fleur en fleur, il recueillait les meilleurs choses pour les cacher dans la ruche de son cœur » (I 12). À l’extrême fin de la ‘Vita’, Ouen fait aussi référence à un ‘compendium’ de ‘testimonia divinae lectionis’ relevés par Éloi. Ouen affirme avoir joint ce ‘compendium’ à la ‘Vita’ (II 81), mais celui-ci ne nous est pas parvenu.

On peut évoquer en guise de conclusion une dernière piste de recherche, plus historiographique. Nul ne conteste à Bruno Krusch d’immenses qualités de philologue, d’historien et d’éditeur. Mais le dossier hagiographique d’Éloi rappelle que les choix scientifiques du monumentiste étaient aussi guidés par des préoccupations qui ne l’étaient pas toujours. C’est évidemment un point que l’on est invité à soulever en constatant la faiblesse des arguments dont disposait Krusch pour discréditer le témoignage de saint Ouen. Contestant la description de la « vénérable tonsure apostolique » (donc romaine) d’Éloi (I 31), l’argument qu’il assène par deux fois dans son commentaire est une miniature du XIIe siècle illustrant le « testament » de saint Amand d’Elnone (Valenciennes BM 501). Cette représentation montre saint Mommelin, le successeur d’Éloi sur le siège de Noyon/Tournai, avec une tonsure de type irlandais, preuve selon Krusch qu’Éloi devait avoir adopté la même mode. Le dessin est magnifique il est vrai, mais comme le fit remarquer le Père Poncelet, « que vaut ce portrait postérieur de cinq siècles au personnage qu’il représente ? » (Poncelet 1902, p. 109, n. 1). Clemens Bayer s’est en effet demandé lors des discussions si l’animosité que Krusch portait aux hagiographes, menteurs et affabulateurs, n’était pas ici décuplée par la manière dont il voyait poindre dans la chrétienté mérovingienne cette influence romaine dont l’Allemagne protestante avait une nouvelle fois tenté de s’extraire lors du ‘Kulturkampf’. Ces remarques sont assurément sommaires, mais elles voudraient suggérer l’intérêt qu’il y aurait aussi à faire un jour de Bruno Krusch et de ses pairs éditeurs de textes mérovingiens le sujet d’une enquête d’histoire contemporaine.

5. Bibliographie sommaire

On se reportera aux 231 références citées dans Bayer 2007, p. 518-524.

Banniard 1992a : Banniard (Michel), ‘Viva Voce’. Communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occident latin, Paris, 1992 (Collection des Études augustiniennes. Série Moyen Âge et Temps Modernes 25).

Banniard 1992a : Banniard (Michel), « Latin et communication orale en Gaule franque : le témoignage de la ‘Vita Eligii’ », dans Jacques Fontaine et Jocelyn Nigel Hillgarth (éd.), Le septième siècle. Changements et continuités, Londres, 1992 (Studies of the Warburg Institute, 42), p. 58-86.

Bayer 2007 : Bayer (Clemens M. M.), « Vita Eligii », Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, 35, 2007, p. 461-524.

Dekkers 1989 : Dekkers (Eligius), « Een onbekend werk van sint Eligius ? », Ons Geestelijk Erf, 63, 1989, p. 296-308.

Dolbeau 1999-2000 : Dolbeau (François), « Critique d’attribution, critique d’authenticité. Réflexions préliminaires », Filologia mediolatina, 6-7, 1999–2000, p. 33-61 [repris avec addenda dans id., ‘Sanctorum societas’. Récits latins de sainteté (IIIe-XIIe siècles), vol. 1, Bruxelles, 2005), p. 3-32].

Dolbeau 2007 : Dolbeau (François), « Vie et miracle de sainte Aure, abbesse, jadis vénérée à Paris », Analecta Bollandiana, 125, 2007, p. 17-91.

Ghesquière 1785 : Ghesquière (Joseph) (éd.), Vita Eligii, dans AA SS Belgii selecta, 3, Bruxelles, 1785, p. 198-311.

Gioanni 2009 : Gioanni (Stéphane), « La langue de ‘pourpre’ et la rhétorique administrative dans les royaumes ostrogothique, burgonde et franc (VIe-VIIIe siècles) », dans François Bougard, Régine Le Jan, Rosamond McKitterick (dir.), La culture du haut Moyen Âge : une question d’élites ?, actes du colloque de Cambridge, Trinity College, 6-8 septembre 2007, Turnhout, 2009 (Haut Moyen Âge, 7), p. 13-38.

Hen 1995 : Hen (Yitzhak), Culture and Religion in Merovingian Gaul. AD 481-751, Cologne/Leyde/New-York, 1995 (Cultures, Beliefs and Traditions, 1).

Hen 2000 : Hen (Yitzhak), « Paganism and superstitions in the time of Gregory of Tours: une question mal posée ! », dans Kathleen Mitchell et Ian Wood (dir.), The World of Gregory of Tours, Cologne/Leyde/New-York, 2000 Cultures, Beliefs and Traditions 8), p. 229-240.

Jauffret 2008a : Jauffret (Christophe), La ‘Vita Eligii’, ‘historia’ et ‘laus’ de saint Éloi, par saint Ouen, évêque de Rouen, thèse de doctorat nouveau régime préparée sous la direction de Claude Carozzi, Université Aix-Marseille I, 2008.

Jauffret 2008b : Jauffret (Christophe), « La vie en société à Noyon et dans sa région d’après la Vita Eligii » dans Claude Carozzi, Daniel Le Blévec et Huguette Taviani-Carozzi (dir.), Vivre en société au Moyen Âge. Occident chrétien (VIe-XVe siècle), Aix-en-Provence, 2008 (Publications de l’Université de Provence. Coll. Le temps de l’histoire), p. 39-56.

Krusch 1902 : Krusch (Bruno) (éd.), Vita Eligii, dans MGH, SRM, 4, Hanovre/Leipzig, 1902, p. 663-741 [+ MGH, SRM, 7, Hanovre/Leipzig, 1920, p. 842-844].

Lehner 1987 : Lehner (Albert) (éd.), Florilegia. Florilegium Frisingense (Clm 6433). Testimonia divinae Scripturae , Turnhout, 1987 (CCSL 108D).

Markus 1992 : Markus (Robert A), « From Caesarius to Boniface : christianity and paganism in Gaul », dans Jacques Fontaine et Jocelyn Nigel Hillgarth (éd.), Le septième siècle. Changements et continuités Londres, 1992, (Studies of the Warburg Institute 42), p. 154-168.

McCunes 2008 : McCune (James), « Rethinking the Pseudo-Eligius sermon collection », Early Medieval Europe, 16-4, 2008, p. 445-476.

McNamara 2000 : McNamara (Jo Ann), « The Life of St. Eligius, 588-660 », dans Thomas Head (éd.), Medieval Hagiography. An Anthology, New-York/Londres, 2000 (Garland Reference Library of the Humanities, 1942) [version électronique : http://www.fordham.edu/halsall/basis/eligius.html].

Poncelet 1902 : Poncelet (Albert), dans Analecta Bollandiana, 22, 1903, p. 108-109 [compte rendu de Krusch 1902].

Poulin 1986 : Poulin (Joseph-Claude), « Eligius », Lexikon des Mittelalters, 3, 1986, col. 1829-1830.

Poulin 2006 : Poulin (Joseph-Claude), « Les ‘libelli’ dans l’édition hagiographique avant le XIIe siècle », dans Martin Heinzelmann (dir.), Livrets, collections et textes. Études sur la tradition hagiographique latine, Ostfildern, 2006 (Beihefte der Francia, 63), p. 15-193.

Sapin 2009 : Sapin (Christian), « Autour de la tombe de saint Quentin, 1864-2004. Problématique et méthodes archéologiques du site de l’église majeure de Saint-Quentin (Aisne) », dans Dominique Paris-Poulain, Sara Nardi Combescure et Daniel Istria (dir.), Les premiers temps chrétiens dans le territoire de la France actuelle. Hagiographie, épigraphie et archéologie : nouvelles approches et perspectives de recherche, actes du colloque d’Amiens (18-20 janvier 2007), Rennes, 2009 (Archéologie & Culture), p. 147-160.

Scheibelreiter 2004 : Scheibelreiter (Georg), « Ein Gallorömer in Flandern : Eligius von Noyon », dans Walter Pohl (éd.), Die Suche nach nach den Ursprüngen. Von der Bedutung des frühen Mittelalters, Vienne, 2004 (Österreichische Akademie der Wissenschaften. Philosophisch-historische Klasse. Denkschriften ; Forschungen zur Geschichte des Mittelalters, 8), p. 117-128.

Stracke 1956 : Stracke (D.A.), « Over de Vita Eligii », Bijdragen tot de geschiedenis bijzonderlijk van het oud hertogdom Brabant, 39, 1956, p. 90-137, 160-206, 221-269.

Vacandard 1902 : Vacandard (Elphège), Vie de saint Ouen, évêque de Rouen (641-684). Étude d’histoire mérovingienne, Paris, 1902.

Vacandard 1911 : Vacandard (Elphège), « Éloi », Dictionnaire de théologie catholique, 4, 1911, col. 2340-2349.

Van der Essen 1904 : Van der Essen (Léon), « Vies de saint Médard et de saint Éloi », Annuaire de l’Université catholique de Louvain, 68, 1904, p. 372-390.

Van der Essen 1907 : Van der Essen (Léon), Étude critique et littéraire sur les ‘vitae’ des saints mérovingiens de l’ancienne Belgique, Louvain/Paris, 1907 (Recueil de travaux de l’Université de Louvain, 1ère série, 17).

Vogüé 1988 : Vogüé (Adalbert de), « Vestiges de l’‘Admonitio ad filium spiritualem’ du Pseudo-Basile dans la prédication de saint Éloi », Revue bénédictine, 98, 1988, p. 18-20.

Westeel 1994 : Westeel-Houste (Isabelle), « Vie de saint Éloi. Étude critique et édition », dans Positions des thèses soutenues par les élèves [de l’École nationale des chartes] pour obtenir le diplôme d’archiviste paléographe, Paris, 1994, p. 221-226.

Westeel 1999 : Westeel (Isabelle), « Quelques remarques sur la ‘Vita Eligii’, Vie de saint Éloi », Mélanges de science religieuse, 56-2, 1999, p. 33-47.

Westeel 2002 & 2006 : Westeel (Isabelle), Vie de saint Éloi, Noyon : Confrérie des marguilliers de Saint-Éloi, 1ère éd. 2002 ; 2e éd. revue et augmentée des extraits des sermons, 2006.

Westeel 2005 : Westeel (Isabelle), « Courte note d’hagiographie : un nouvel épisode du ‘pendu-dépendu’ dans la Vie latine de saint Éloi », dans Martin Aurell et Thomas Deswarte (dir.), Famille, violence et christianisation au Moyen Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, Paris, 2005 (Cultures et civilisations médiévales, 31), p. 209-217.

Colloque "Normes et hagiographie" : appel à contributions



Le colloque Normes et hagiographie au Moyen Age se tiendra à l'Université Jean Moulin de Lyon les 4, 5 et 6 octobre 2010.


Le Centre d’Histoire Médiévale de l’Université Jean Moulin (ArteHis – UMR 5994) organise les 4, 5 et 6 octobre 2010 une rencontre internationale consacrée à Normes et hagiographie au Moyen Age. Le but de ce colloque est d’identifier et de décrire les transformations de l’hagiographie quand elle change de genre (insertion dans des sermons, des chartes, des collections canoniques, etc.) pour répondre à quelques questions essentielles : qu’appelle-t-on l’efficacité pastorale de l’hagiographie ? Peut-on croire que l’hagiographie serve à énoncer, transmettre, enseigner une norme chrétienne et sociale ? Au prix de quelles adaptations langagières cette efficacité est-elle visée ou atteinte ?
Le détail de l’argumentaire, la composition du comité scientifique et d’autres informations utiles sont disponibles sur http://lyon2010.perso.sfr.fr/

Les propositions de communication (un titre et une demi-page d’argumentaire) sont à adresser jusqu'au 15 janvier 2010 à marie.isaia[à]univ-lyon3.fr

mercredi 18 novembre 2009

Expertise des textes hagiographiques mérovingiens dans leurs plus anciennes versions manuscrites - sept. 2009


projet trilatéral FMSH, DFG et Villa Vigoni
Expertise des textes hagiographiques mérovingiens dans leurs plus anciennes versions manuscrites

Coordination: Prof. Dr. Ferruccio Bertini, Gênes ; Prof. Dr. Michele Ferrari, Erlangen ; Prof. Dr. Monique Goullet, Paris

Compte rendu du 1er atelier (Villa Vigoni, 17-19 septembre 2009) transmis par Monique Goullet.


Guy PHILIPPART (Université de Namur, Belgique) Introduction critique à l’étude des manuscrits « hagiographiques » les plus anciens
Avant de contribuer par de nouvelles recherches fondamentales à l’étude de la tradition médiévale des textes hagiographiques, il a paru utile d’identifier les concepts et les méthodes dont nous usons généralement dans cette discipline. Pour les identifier, nous avons analysé les travaux majeurs qui avaient été consacrés à cette matière dans les dernières décennies et nous avons cherché en outre, dans les textes fondateurs de notre discipline, principalement dans le programme que Jean Bolland a fixé en 1643 en tête des ‘Acta Sanctorum’, comment ces concepts et ces méthodes avaient été élaborés. Il apparaît qu’en focalisant l’étude non pas sur les textes mais sur les saints et sur tout ce qui contribue à leur gloire, Bolland a vulgarisé l’idée que le corpus des textes consacrés à l’histoire des saints chrétiens et de leurs reliques formaient un ensemble spécifique . Qu’il y ait eu dès lors des livres spécifiques, les « légendiers » ou les « livrets », pour accueillir ces textes consacrés à l’histoire des saints allait de soi (bien que l’ensemble des textes consacrés à l’histoire des saints et de leurs reliques ne fût jamais désigné comme tel avant le XVIIe siècle).
Or, paradoxalement ce corpus spécifique forme un ensemble disparate : les textes consacrés à l’histoire des saints et de leurs reliques appartiennent à des genres littéraires profondément différents : ‘acta’, biographies, ‘exempla’, chroniques, miracles, inventions, translations, visions… Il n’y a pas à chercher dans cet ensemble un genre hagiographique propre. Deux phénomènes éditoriaux, qui ont pu créer cette illusion d’un genre propre, doivent être examinés.
1) l’organisation de plus en plus serrée de l’année autour de son calendrier sacré a conduit les éditeurs médiévaux à rassembler dans des légendiers ces textes de genres différents (‘acta’, biographies, etc.) pour qu’ils puissent servir lors de la fête des saints.
2) En dehors des besoins de la liturgie, l’emprise de plus en plus forte de la croyance aux saints et en leurs pouvoirs a conduit aussi des éditeurs à réunir, pour des raisons apologétiques ou par goût de la collection savante, tout ce qui contribuait à la gloire des saints. Il n’est pas sûr que les plus anciens légendiers aient eu une fonction liturgique. Ces grandes collections savantes destinées aux bibliothèques pouvaient avoir une fonction proprement apologétique.En d’autres termes, les textes consacrés à l’histoire des saints, qui n’ont pas de spécificité littéraire, peuvent avoir eu une spécificité « éditoriale ».
Encore faut-il se garder de deux illusions :
1) que la transmission des textes consacrés à l’histoire des saints se réduise à l’étude des « légendiers » et des « livrets ». Dans notre corpus, le nombre de manuscrits qui ne tombe pas dans la catégorie « légendiers » et « livrets » l’emporte nettement sur les autres. Des textes consacrés à l’histoire des saints sont assemblés avec des pièces les plus diverses homilétiques, morales, doctrinales... Il est indispensable de lire ces documents et pas seulement les textes « hagiographiques » qu’ils contiennent pour saisir la spécificité éditoriale de l’ensemble.
2) que les « légendiers » transmettent exclusivement des textes consacrés à l’histoire des saints. L’emblématique ‘Legenda aurea’ suffirait à nous en détromper. Dans un souci honorable d’efficacité, les bollandistes d’autrefois, qui étaient à la recherche des textes consacrés à l’histoire des saints en vue de leurs édition critiques, ont systématiquement omis dans leurs analyses des légendiers les pièces qui échappaient à leur conception du texte hagiographique. Ce qui fait que nous disposons de descriptions tronquées, à reprendre ‘ab ovo’.
Dernière question critique. Notre idée d’un corpus (relativement) homogène de textes consacrés à l’histoire des saints et de leurs reliques n’est-elle pas anachronique ? Ne doit-elle pas être revue avec les critères d’autrefois ? Nous nous fondons généralement sur la BHL, où se bousculent entre autres au milieu des biographies de « saints » des apocryphes néotestamentaires, des listes sommaires, des chroniques sur la croix du Christ, des hymnes… Il faut retrouver les hiérarchies, les découpages et les typologies d’autrefois : que représentaient alors les actes apocryphes des apôtres, le ‘Transitus Mariae’, l’‘Inventio Crucis’ par rapport à la Vie de saint Martin ou aux ‘Acta Sebastiani’ ? Comment jouait la distribution avérée entre « authentiques » et « apocryphes » ? Et dans un autre ordre d’idée, comment les figures vétérotestamentaires étaient-elles considérées ? La BHL a tranché dans le vif et les a exclues du répertoire des textes hagiographiques, à l’exception des Actes des Maccabées, figures archétypiques des martyrs chrétiens. C’est là un choix moderne, pragmatique et anachronique. Pour ne prendre qu’un exemple, les « légendiers » d’Aldhelm, héritier en cela de l’auteur de l’Épître aux Hébreux, commencent par l’histoire de plusieurs des patriarches de l’Ancien Testament.
Il résulte de tout ceci que le corpus des textes que nous étudions doit être défini non sur la base de critères modernes, mais à partir des critères de l’époque. Nous devons examiner chacun des manuscrits dans leur totalité et définir à partir d’eux les objectifs et les méthodes des éditeurs d’autrefois et mettre au jour leurs concepts. La genèse de collections spécifiques de textes consacrés à l’histoire des saints pourra alors être conçue sans anachronisme.

Dans le cadre de ce programme de recherche, d’ailleurs, une analyse systématique et une reconstitution du ‘Codex Velseri’ (München CLM 3514, milieu du VIIIe siècle), le plus ancien « légendier » connu, a déjà été menées à bonne fin. D’autre part, la question du contexte codicologique des textes hagiographiques et de son interprétation fait l’objet des communications de Sandra Isetta et de Martin Heinzelmann, résumées ci-après.

Sandra ISETTA (Università di Genova) Il ms. Paris, BNF lat. 2769, fol. 1-23+ lat.4808, fol. 53-65 [Italia, s. VI]. Instrumenta catechetici e riscrittura agiografica : Il ‘prontuario’ esegetico di Eucherio (fol. 1-21)
Esposizione delle problematiche e degli studi critici conseguenti la ‘scoperta de Bruyne’, che ha restituito in un unico ms. miscellaneo i disiecta membra Paris, BNF lat. 2769, fol. 1-23+ lat. 4808, fol. 53-65, concordemente ascritto all’area italiana, pur con divergenze di locazione. Gli studi critico-letterari si frammentano in prospettive diverse, riguardanti la tradizione manoscritta delle singole opere (Formulae e Instr.II di Eucherio; Sermo 110 di Agostino; Adventio crucis; Chronographia di Onorio). La valutazione globale dei contenuti e l’accostamento delle opere, solo apparentemente difformi, ha consentito di suggerire due ipotesi sulla composizione del ms. miscellaneo, che potrebbe rispondere all’esigenza di una polemica antigiudaica, con argomenti esegetico-eruditi (Eucherio e Onorio), affiancati alla centralità del binomio omiletico e agiografico-politico (Sermo 110 di Agostino e Adventio crucis).Come gran parte della tradizione manoscritta, il ms. Par. Lat. 2769 contiene le Formulae, prive dei quattro capp. iniziali (con una vasta lacuna interna) e delle Instr. II riporta solo 2 capp.: la frammentarietà delle opere di Eucherio ne conferma il frequente uso come ‘prontuario’ esegetico, che sintetizza, appunto in formulae, la vasta produzione di stampo alessandrino (Ticonio, Girolamo, Agostino). L’analisi di alcune lezioni del ms. in relazione alle edd. CSEL 1894 (Wotke) e CCL 2004 (Mandolfo), con particolare attenzione alle citazioni bibliche (criterio fondamentale per lo studio critico di un testo patristico), conferma che, come i codd. più antichi, il ms. Par. Lat. 2769 non normalizza il testo della Vetus con quello della Vulgata ed è meritevole di ulteriori approfondimenti riguardo la sua parentela con altri codd.

Martin HEINZELMANN (Paris), Le manuscrit H55 de la Bibliothèque Universitaire de Montpellier, section de Médecine
L’examen du manuscrit et de ses 61 textes avait pour but d’identifier les modèles de la collection, créée peu après 800. Pour cela ont été retenus des indices de l’organisation du volume, identifiables surtout par la graphie des titres ou incipit-titres, dont les écritures sont fort différenciées, par certaines formules de l’incipit (‘In nomine Dei summi’, etc.), par la désignation stéréotypée du saint (‘sanctus hac beatissimus N.’), par les traces de numérotation ancienne et par la fête du saint. Il est évident que le manuscrit dépend de modèles d’origine et de présentation fort différentes, dans lesquels prévalait un ordre hiérarchique : apôtres, martyrs, évêques, saintes femmes, l’ordre du calendrier n’étant retenu que partiellement (textes 36 à 46). Le sanctoral du recueil se distingue par la participation exceptionnellement forte de femmes, avec 26 textes sur 51 (apôtres exceptés) ; le mélange de saints connus et peu connus, de l’Église universelle (Rome et l’Orient) et de la Gaule, souligne une certaine volonté (carolingienne ?) de représentativité du sanctoral. Les versions copiées sont en bonne partie rares, voire uniques, avec plusieurs textes gaulois créés sur un modèle « classique » de l’hagiographie « internationale », le plus frappant étant la production concernant le diocèse de Troyes, avec cinq pièces qui ne se trouvent que dans le manuscrit H55: un texte traditionnel accompagné de deux décalques de modèles connus (Passions des saintes Sabine et Jule) et de deux nouvelles créations (‘Passio Memorii’ et Vie de Melaine et de la sainte vierge), d’une facture linguistique très inégale. La situation exceptionnelle de la Vie de Gertrude de Nivelles dans le recueil, seule sainte monastique, et la présentation spécialement soignée du texte et de son complément (Miracles), par le titre, la formule de l’incipit, l’écriture, a suscité l’hypothèse d’une origine du recueil à Nivelles, au moment de la transformation du monastère en église canoniale. Entreprise à suivre.

Les communications suivantes ont exposé les premières conclusions de l’examen de textes contenus dans un ou plusieurs des manuscrits du corpus.

Cécile LANÉRY (IRHT, CNRS, Paris)La ‘Passio Sebastiani’ dans le ‘Codex Velseri’
La ‘Passio Sebastiani’ n’a, en soi, rien de mérovingien : c’est un texte romain, écrit, selon toute probabilité, par Arnobe le Jeune, dans les années 430. Mais cette longue Passion tardo-antique nous a été transmise, entre autres, par plusieurs légendiers francs très anciens, dont le ‘Codex Velseri’ (München, BSB Clm 3514, autrefois propriété de l’humaniste Marc Velser) : écrit en Gaule, sans doute au Nord de la Seine, vers le milieu du VIIIe siècle, ce manuscrit nous a conservé un texte quasi-complet de la ‘Passio Sebastiani’ (une longue lacune, dans les premiers chapitres de la Passion, est due à la chute de 2 ou 3 folios) ; c’est, avec le palimpseste de Berne (Bern, Burgerbibl. 611), son plus ancien témoin. Outre un certain nombre de caractéristiques phonétiques et orthographiques dignes d’intérêt, le ‘Codex Velseri’ offre un texte qui pourrait être d’ascendance italienne, mais qui présente aussi de notables affinités avec des légendiers anciens de Saint-Amand et d’Allemagne (VIIIe-IXe s.). Dans le ‘Codex Velseri’, la ‘Passio Sebastiani’ fut de plus corrigée, dès le IXe siècle, par un copiste qui y fit entrer les leçons d’une révision carolingienne. Parmi les centaines de témoins conservés, ce légendier mérovingien, avec ses corrections carolingiennes, occupe donc une place de premier ordre.

Michèle GAILLARD (Université de Lille 3) Les Passions des saints Crépin et Crépinien (cycle de Rictiovar) dans les manuscrits Torino, BN 517 (D.V. 3), Wien, ÖNB 371 et Paris, BnF12598
La Passion des saints Crépin et Crépinien appartient à un cycle hagiographique de martyrs censés avoir été persécutés au milieu du IIIe siècle, sous l’empereur Maximien, par un préfet nommé ‘Rictiovarus’ ou ‘Riciofarus’. Malgré l’intérêt que lui ont apporté plusieurs érudits, en particulier Louis Duchesne et Camille Jullian, l’étude, à la fois globale et minutieuse, des textes relatifs à ce cycle reste à faire. Les questions souvent évoquées de la parenté de ces textes entre eux et de l’époque de leur écriture et réécriture n’ont pas encore été résolues. En outre quelques-unes de ces Passions ont été copiées dans certains des manuscrits hagiographiques les plus anciens : Turin D V 3, Paris BnF lat 12598, Wien 371, Montpellier H5.L’intérêt de la Passion des saints Crépin et Crépinien est que, au sein d’une très riche tradition manuscrite (64 témoins signalés dans les catalogues des Bollandistes), elle a été recopiée dans les trois premiers manuscrits cités ci-dessus, vraisemblablement confectionnés dans le nord-est de la France actuelle (nord de la Province tardo-antique et médiévale de Belgique)
L’objectif de l’étude était de cerner les relations entre les trois versions, d’établir leur chronologie relative, de comparer les usages des copistes et, autant que faire se peut, d’établir le texte initial que les trois copistes ont utilisé, directement ou indirectement. Un examen attentif des deux premières pages du manuscrit de Turin et des pages correspondantes des manuscrits de Paris et de Vienne – soit un échantillon de 290 mots sur 1113 au total, c’est-à-dire 26% du texte de la ‘Passio’ – fait apparaître une parenté assez nette entre le manuscrit de Turin (T) et celui de Vienne (W) ; cette parenté n’est toutefois pas suffisante pour affirmer qu’un des deux manuscrits a été copié sur l’autre. En effet le manuscrit de Paris (P) concorde fréquemment avec T contre W, ce qui conduit à l’hypothèse de l’appartenance de T et W à un rameau issu de la même branche que P.
La présence d’un certain nombre de saints du cycle de Rictiovare, dont Crépin et Crépinien, dans la version auxerroise du martyrologe hiéronymien incite à penser que cette Passion a été rédigée quelques décennies avant la fin du VIe siècle, lors du développement des sièges épiscopaux d’Amiens, de Vermand et de Soissons, chaque cité rivalisant pour posséder les reliques de prestigieux martyrs, avant que le siège de l’évêque du Vermandois ne s’installe à Noyon.

Monique GOULLET (LAMOP, Université Paris 1/CNRS) Le dossier de s. Afra : retour aux manuscrits
Le dossier littéraire d’Afra, la sainte patronne d’Augsbourg (‘Augusta Vindelicorum’), se compose de trois textes : une ‘Conversio s. Afrae’ (BHL 108) ; une Passion longue (BHL 109) et une Passion brève (BHL 107b-f). La version BHL 107b, contenue dans le manuscrit Wien, ÖNB 420, a été découverte en 1907 par le Prémontré Godefroi Vielhaber, et éditée par lui-même, puis par Bruno Krusch (qui avait déjà édité BHL 108 et 109), et enfin par Walter Berschin. Depuis la découverte de Vielhaber en 1907, on considère la version brève comme antérieure à la longue, cette dernière n’en étant qu’une amplification. Un retour aux manuscrits – en particulier aux autres témoins de la version brève, que Bruno Krusch avait considérés comme d’insignifiants ‘compendia’, ainsi qu’à Wien, ÖNB 1556, considéré par Krusch comme un doublon d’un manuscrit Bruxellois du Xe siècle – a permis de proposer l’inversion de ce classement. Il reste maintenant à déterminer la genèse de l’abréviation, en proposant un classement des différentes versions brèves répertoriées.

Corinna BOTTIGLIERI et Gordon BLENNEMANN (Université d’Erlangen, Allemagne) Les premières abréviations connues des Vies des ss. Germain de Paris et Germain d’Auxerre dans les mss Wien, ÖNB, lat. 420 et Paris, lat. 12598
Nella relazione a due voci Les premières abréviations connues des Vies des ss. Germain de Paris et Germain d’Auxerre dans les mss Wien, ÖNB, lat. 420 et Paris, lat. 12598 Corinna Bottiglieri e Gordon Blennemann hanno presentato due abbreviazioni di vite molto diffuse nell’alto medioevo, scritte da autori di grande statura letteraria: rispettivamente la Vita Germani Autissiodorensis di Costanzo di Lione (BHL 3453), scritta intorno al 480, e la Vita Germani Parisiensis di Venanzio Fortunato (BHL 3468). Le due epitomi sono trasmesse da due delle raccolte agiografiche che hanno un ruolo fondamentale nel progetto Vigoni: rispettivamente i mss. Paris BNF lat. 12598, f. 105v-107r e Wien, ÖNB lat. 420, ff. 26–28: la datazione dei manoscritti si colloca negli ultimi anni dell’VIII o nei primi anni del IX secolo. Dell’inedita epitome della Vita Germani Autissiodorensis si segnala inoltre un altro testimone (ms. Cambrai, BM 855), di cui sarà necessario l’esame. Dopo alcuni accenni ai contesti storici delle due vite originarie, i due relatori hanno analizzato contenuto delle epitomi in relazione all’ipotesto, mettendo in rilievo in particolare alcuni fenomeni ortografici e morfologici: questo in relazione anche al comportamento dei copisti negli altri testi presenti nei manoscritti considerati. Un motivo di particolare interesse è il confronto delle diverse strategie di riscrittura messe in atto dagli anonimi autori delle due epitomi, che sono state esaminate nei dettagli. La questione centrale, da sviluppare nelle ulteriori indagini, è cercare di comprendere la funzione specifica di un testo abbreviato in relazione alle aree geografiche e ai periodi a cui si collega una particolare tradizione manoscritta, come ad esempio il ruolo della committenza salisburghese nel caso del ms. Wien 420.

Charles MÉRIAUX (Université Lille 3) Les Passions de saint Léger d’Autun dans les anciens légendiers (VIIIe-IXe siècle)
Au tournant des XIXe et XXe siècles, l’éditeur allemand Bruno Krusch a proposé une analyse du dossier hagiographique de saint Léger, évêque d’Autun († 677/679) qui s’est imposée ensuite. Il distinguait trois textes : 1) une Passion anonyme composée au monastère Saint-Symphorien d’Autun dès la fin du VIIe siècle et dont ne subsisterait qu’un seul fragment dans un légendier de Moissac (A) ; 2) une Passion carolingienne rédigée en Poitou, au monastère de Saint-Maixent, à la fin du VIIIe siècle (B) ; 3) Une Passion « mixte » composée à partir de ces deux textes, dont le seul intérêt était aux yeux de Krusch de permettre la restitution des passages de la Passion d’Autun qui ne figurait pas dans le légendier de Moissac (C). Comme ses contemporains, Bruno Krusch se souciait avant tout de retrouver le texte le plus ancien, susceptible de fournir les informations historiques les plus valables. Ce point était – et reste – d’autant plus important que les faits et gestes de Léger constituent l’essentiel de la documentation concernant l’histoire politique des royaumes francs dans les années 660-680, c’est-à-dire à la veille de la mainmise sur la Neustrie par le maire du palais austrasien Pépin II (687). Précisons que certaines affirmations de Krusch ont été revues, en particulier la datation de la Passion poitevine, que rien n’interdit en réalité de considérer comme une œuvre contemporaine composée au tournant des VIIe et VIIIe siècles.
Conformément aux principes retenus par le projet, notre communication s’est fondée sur un premier examen des plus anciens légendiers. Les trois Passions que distinguait Krusch sont aujourd’hui conservées dans les manuscrits suivants : 1) Paris BNF lat. 17002 (Moissac, Xe-XIe siècle) pour la Passion autunoise ; 2) Saint-Gall 548 (Saint-Gall, VIIIe-IXe siècle) pour la Passion poitevine ; 3) Wien ÖNB 371 (Saint-Amand, début IXe siècle) pour la Passion mixte. Ce dernier texte a un intérêt beaucoup plus grand que celui que lui donnait Krusch. Outre le fait qu’il comprend le texte complet de A, il semble bien aussi qu’il ne dépende pas du légendier de Moissac et qu’il en donne donc une version au moins aussi ancienne. Comme l’avait déjà suggéré Joseph-Claude Poulin, le texte du légendier de Moissac apparaît lui-même comme un remaniement obéissant à un projet précis : exalter les souffrances et le martyre de Léger, en laissant de côté le récit proprement historique de la lutte qui l’opposa au maire du palais Ébroïn. Cette perspective « spirituelle » caractérise aussi la manière avec laquelle ont été sélectionnés des extraits d’autres Passions dans le légendier. S’agit-il d’un projet développé par les moines de Moissac à la fin du Xe siècle ? François Dolbeau, dans la discussion, s’est demandé si le remaniement de la Passion n’était pas issu d’une collection carolingienne plus ancienne. C’est un point qu’il faudra éclaircir. D’autre part, il apparaît que le légendier de Vienne ne donne pas exactement la même version de la Passion poitevine que celle qui est contenue dans le légendier de Saint-Gall, du moins donne-t-il une version légèrement différente de son développement final consacré à la translation des reliques de Léger, d’Artois (où il avait été assassiné) au monastère de Saint-Maixent. Cela implique à nouveau l’usage de sources anciennes qui interdit de considérer l’auteur de la Passion mixte comme un vulgaire compilateur. En somme, le manuscrit de Vienne donne le texte d’un ‘libellus’ dont l’intérêt est à nos yeux beaucoup plus grand que celui que lui accordait Krusch.
En conclusion, quelques hypothèses ont été présentées au sujet de ce ‘libellus Leudegarii’. On y observe la volonté de donner les informations les plus complètes concernant le saint en puisant à toutes les sources alors disponibles. Que celles-ci soient par endroit indépendantes des informations que développent les deux autres Passions (dans leur état actuel) accréditerait la thèse d’un travail ancien, réalisé dès le début du VIIIe siècle. D’autre part, on ne peut négliger la portée politique de l’œuvre, qui propose une image très négative non seulement de la monarchie neustrienne, mais également de ses derniers maires du palais. Ceci doit être mis en rapport avec la mainmise austrasienne sur la Neustrie. Que le ‘libellus’ ait ensuite été copié à la fin du siècle à Saint-Amand, lieu de culture et de propagande carolingienne, va aussi dans ce sens. En somme, tout ceci pourrait nous orienter vers le ‘scriptorium’ de Saint-Vaast d’Arras, où l’on conserva longtemps au Moyen Âge le souvenir, certes confus mais inhabituel, des principaux protagonistes de l’époque : Léger, le roi Thierry III et l’évêque d’Arras/Cambrai Vindicien.

Valentina ZANGHI Il ms München, BSB, Clm 6393 e la trasmissione dell’opera agiografica di Girolamo: le praefationes
Presentazione ed esposizione di uno sguardo d’insieme del ms. München, BSB, Clm 6393 attraverso l’analisi delle praefationes e degli explicit delle tre Vitae geronimiane.Girolamo, nelle opere sia esegetiche sia agiografiche, privilegia la praefatio (ed anche la conclusio) come ‘contenitore’ di riferimenti autobiografici. L’incipit/praefatio del ms. München non tradisce il modus operandi di Girolamo e si è presentato anzi come efficace chiave di interpretazione della logica e dei criteri del procedimento di trascrizione. L’analisi delle particolarità degli incipit e degli explicit delle tre Vitae nel ms. München, BSB, Clm 6393 sembrano indicare una ‘pista’ storica per risalire ai luoghi di composizione o, per lo meno, di transito del ms. stesso.Il Munchen, inserito in quella che è denominata ‘tradizione Asella’, ossia con dedicatio alla matrona della cerchia dell’Aventino, potrebbe risalire a una personale formula di accompagnamento, per mano dello stesso Girolamo, all’invio dell’opera a uno specifico destinatario.Le varianti testuali tra il Munchen e gli altri mss. trovano riscontro in alcuni testi dell’epistolario geronimiano e testimoniano l’incomprensione di alcune citazioni classiche.Non priva di significato sembra infine l’insistenza, nelle tre Vitae, su ‘destinatari donne’ che sembrerebbe tradire un’intenzionale correlazione tra il circolo romano di Girolamo e una molto possibile comunità monastica femminile coeva al manoscritto

Après ces études de cas, la dernière demi-journée fut consacrée à l’analyse linguistique et stylistique.

Marieke VAN ACKER (Université de Gent, Belgique) La langue de l’hagiographie mérovingienne : une analyse en niveaux de langue fluctuants, à partir des Vies d’Arnoul de Metz, Hilaire de Poitiers, Loup de Troyes et Médard
En projetant sur des textes hagiographiques (en l’occurrence la ‘Vita Arnulfi’, la ‘Vita Hilarii’, la ‘Vita Lupi’ et la ‘Vita Medardi’ dans leurs versions transmises par le manuscrit Wien, ÖNB 420) une grille d’analyse inspirée de la typologie provisoire du latin mérovingien élaborée par Michel Banniard, il s’est avéré possible de situer les textes par rapport à des niveaux de langue écrite en utilisant une échelle allant de 5 (style élevé) à 1 (style bas). Le travail n’a été réalisé que superficiellement jusqu’ici et, pour prétendre à des résultats plus nuancés, il faudrait vérifier, détail dans chaque texte, la pertinence de chaque constante énumérée dans la grille. L’objectif de la présentation était avant tout de montrer que cette approche permet de mieux comprendre le rapport entre langue parlée et langue écrite, entre latinité et romanité, avec le style comme interface et comme catalyseur.

Francesco STELLA (Université de Sienne/Arezzo) Présentation d’un logiciel d’aide à l’analyse linguistique et stylistique
Francesco Stella a présenté le logiciel mis au point pour l’édition du ‘Corpus rhythmorum musicum (saec. IV-IX)’ en cours à la SISMEL (Florence) sous sa direction ; le premier volume est paru en 2007. Ce logiciel d’analyse textuelle, linguistique et stylistique est d’utilisation simple, spécifiquement conçu pour les travaux littéraires. Francesco Stella, avec l’accord de la SISMEL, a proposé de le mettre à la disposition de l’équipe.

Conclusions et programme du 2e atelier (11-14 avril 2010)
Les interventions de chacun avaient été préparées avec beaucoup de soin, et nos échanges se sont avérés constructifs. Le bilan scientifique est donc positif au-delà de ce que nous pouvions espérer, et nous avons ainsi rempli les objectifs formulés pour ce premier atelier. Deux de nos équipes ont été malheureusement privées de leur tête lors de ce premier atelier ; malgré tout, le groupe a admirablement fonctionné. Nous sommes tous reconnaissants à François Dolbeau, membre de notre conseil scientifique, d’être intervenu de façon aussi constructive dans nos discussions, et en particulier dans les décisions prises pour le prochain atelier ; nous le remercions aussi d’avoir proposé de participer aux travaux de collation des manuscrits. Nous avons décidé d’inviter un autre membre de notre conseil scientifique, Paolo Chiesa, pour l’atelier de 2010. La présence de jeunes est également un élément très important.

Les travaux du programme « Expertise des textes hagiographiques mérovingiens dans leurs plus anciennes versions manuscrites » (Ateliers trilatéraux « Villa Vigoni ») se poursuivent:
Une présentation du projet, avec intégration du bilan du premier atelier, sera donnée à ‘Hagiographica’.
Parallèlement à l’avancée des dossiers présentés dans le 1er atelier, l’objectif commun pour 2011 sera l’édition d’un légendier. Le ‘Codex Velseri’ (München, BSB 3514), écrit en France au milieu du VIIIe s., est le seul légendier que l’on puisse qualifier de « mérovingien ». Il a l’inconvénient de ne contenir pratiquement que des Passions (à l’exception du dossier de Médard), si bien qu’il se prête assez mal à une approche linguistique.
Le travail collectif se concentrera sur un autre manuscrit, offrant un éventail textuel plus large, le manuscrit Turin, BN 517 (D.V.III), que plusieurs membres de l’équipe ont utilisé pour les dossiers présentés durant l’atelier 1. Il est généralement daté de la fin du VIIIe s., et B. Bischoff donne comme origine le nord-est de la France, Corbie, Soissons ou l’une de leur dépendance. Son écriture, très caractéristique, est la minuscule dite « ab de Corbie » ; il comporte de nombreuses corrections carolingiennes.

Colloque saint Maurice - sept. 2009

Résumé du colloque international « Politique, société et construction identitaire : Autour de saint Maurice » à Besançon, France (28-30 septembre 2009) et à Saint-Maurice, Suisse (1er-2 octobre 2009), organisée par le Laboratoire des Sciences Historiques de l’Université de Franche-Comté (France) et la Fondation des Archives historiques de l’Abbaye de Saint-Maurice (Suisse).
Auteur : Klaus KRÖNERT

Saint Maurice d’Agaune, vénéré comme chef de la légion Thébaine, subit, selon la légende, le martyre en Valais au IIIe siècle. Ses reliques furent découvertes par Théodore, évêque d’Octodurum (aujourd’hui Martigny), quelques décennies plus tard, et le saint connut très vite un culte important, notamment grâce à Sigismond, roi des Burgondes qui fonda, en 515, une abbaye en l’honneur du martyr. Si l’importance du culte de Maurice ne fait guère de doute, les recherches à son sujet restèrent, pendant longtemps, très maigres. En effet, la tâche paraissait si grande qu’elle pouvait décourager les chercheurs les plus motivés. Après un premier colloque, organisé en 2003 à Saint-Maurice d’Agaune (Suisse) qui était consacré, pour l’essentiel, à la tradition textuelle des écrits sur le saint, Nicole BROCARD, Marie-Claude CHARLES, Françoise VANNOTTI et Anne WAGNER ont organisé, en septembre et en octobre 2009, à Besançon et à Saint-Maurice, un colloque international, consacré aux enjeux cultuels, politiques et sociaux du culte du saint depuis l’Antiquité tardive jusqu’à l’époque moderne. Trente-deux communications – et une visite des fouilles dans l’abbaye –, reparties sur quatre jours, ont constitué un programme très dense et extrêmement riche, qu’il serait trop long de résumer dans l’intégralité. Etant donné que le site de HagHis est, pour l’essentiel, consacré à l’histoire du haut Moyen Age et du Moyen Age central (jusqu’au XIIe siècle), je me concentre ici sur les contributions portant sur cette période, et je renonce à résumer les présentations très érudites des fouilles à Agaune, faite par Alessandra ANTONINI et l’exposé richement documenté sur le trésor de l’abbaye, réalisé par Pierre-Alain MARIAUX : sans l’appui iconographique, elles perdraient trop de leur substance. Que tous ces chercheurs me pardonnent ce choix qui ne porte, bien sûr, aucun jugement sur la qualité de leurs travaux !

1. Bruno SUDAN, de l’université de Fribourg en Suisse, a présenté un grand projet collectif de recherche, qui consiste à retracer la diffusion du récit de la Passion de Saint Maurice et de la Légion Thébaine du VIe au XVIe siècle. En effet, l’édition de référence, préparée par B. Krusch, ne tenait compte que de 17 manuscrits, pour la version écrite par Eucher de Lyon, et de 26 témoins pour la Passion de l’auteur anonyme. Depuis, le nombre de textes a considérablement augmenté : aujourd’hui, nous connaissons 58 manuscrits pour le texte d’Eucher et 127 témoins pour la version anonyme. Ces chiffres remettent en cause la faible attention dont la version anonyme fut pendant longtemps victime : son succès était considérable, et les historiens doivent désormais tenir compte de ce fait, même si seule une collation de l’ensemble des témoins permettrait de savoir dans quelle mesure les deux versions sont éventuellement contaminées ; la multitude des « incipit » dans les manuscrits incite, à ce sujet, à la prudence. Ensuite, l’intervenant a dressé un tableau de la diffusion des Passions de saint Maurice : du VIIIe – Xe siècle, on constate une diffusion vers les régions du Nord et une présence à Saint-Gall et à Reichenau. Ensuite, au XIe siècle, les manuscrits apparaissent dans le Sud, comme l’attestent des textes de Turin et de la Toscane. Le XIIe siècle est marqué par un très grand nombre de copies qu’on trouve dans des lieux aussi éloignés que Saint-Bertin, Saint-Omer et même en Hongrie, et les XIIIe - XVe siècles semblent être marqués par beaucoup de copies provenant du sud de l’Allemagne et des régions mosellanes. Enfin, Bruno Sudan expliqua que le groupe de Fribourg travaille actuellement sur le stemma dont il espère présenter les premiers résultats dès l’année prochaine.

2. Louis HOLTZ, de l’IRHT, a consacré sa communication à la lettre qu’Eucher, l’auteur de la première Passion de saint Maurice, a adressée à Salvius, certainement évêque d’Octodurum (aujourd’hui Martigny), comme l’intervenant l’a montré. En s’appuyant sur le manuscrit le plus ancien, Paris, BNF, lat. 9550, provenant de Lyon et datant du VIe/VIIe siècle, qui contient à la fois la Passion et la lettre, il a apporté des arguments qui rendent très probable l’authenticité de la lettre : d’une part, le post-scriptum reflète les conventions antiques de la correspondance, et, d’autre part, le manuscrit de Paris n’est pas véritablement un légendier, car il ne regroupe pas les textes hagiographiques à des fins liturgiques, mais rassemble les œuvres d’un même auteur. Nous pouvons donc retenir l’information la plus précieuse de ce texte qui porte sur l’organisation du culte de saint Maurice et de ses compagnons avant la refondation de l’abbaye en 515 : en effet, dès 450, les saints y étaient vénérés, et leur culte avait sans doute déjà descendu le Rhône pour s’implanter à Lyon.

3. Anne-Marie HELVETIUS, de l’université Paris VIII, s’est intéressée à l’histoire de l’abbaye Saint-Maurice au haut Moyen Âge. Elle a d’abord précisé qu’on ne sait pas avec exactitude à quoi ressemblait le premier sanctuaire fondé par Théodore après sa découverte des Thébains. Puis, elle a analysé la refondation de l’abbaye sous Sigismond en 515 et montré que cette initiative était originale sur le plan politique et symbolique : la « laus perennis » n’était pas un simple exercice ascétique, mais une prière dont le monde extérieur devait également profiter. Il s’agissait ici d’une synthèse entre plusieurs courants de pratique et de conceptions de prière, et en réconciliant ainsi prière publique et prière privée, Sigismond voulait renforcer l’unité de son royaume. En présentant ensuite les principaux documents et les travaux récents qui leurs sont consacrés, l’intervenante a analysé le « Vie des abbés d’Agaune », écrite très probablement durant les années 534, après une période de trouble ; le texte cherche entre autres à minimiser le rôle de Sigismond dans la refondation de l’abbaye afin de ne pas déplaire aux futurs souverains. En effet, vers le milieu du VIe siècle, la communauté de Saint-Maurice a connu quelques difficultés, car la « laus perennis » était de moins en moins comprise : pour Grégoire de Tours, c’était une forme de pénitence car Sigismond était coupable de meurtres. De plus, le travail manuel qui commençait à s’imposer dans les règles communautaires, mettait en cause le concept d’une prière sans fin. Jusqu’au VIIIe siècle, les frères ont donc dû lutter – entre autres avec des prérogatives royales et aussi des faux, semble-t-il – afin de maintenir leur liturgie particulière.

4. En interprétant la « Vie des Pères du Jura » et en la confrontant à d’autres documents comme la Vie de saint Avit et différents textes de Grégoire de Tours, Alain DUBREUCQ, de l’université Lyon III, a essayé d’élaborer un réseau de communautés avec lesquelles l’abbaye Saint-Maurice d’Agaune entretenait des échanges et par lesquelles elle était influencée. En effet, certains problèmes – le mode d’élection des abbés, le sacerdoce et l’autorité – évoqués dans la Vie des Pères jurassiens qui fut écrite, sans doute, dans la première moitié du VIe siècle, mais aussi des épisodes comme celui du voyage de saint Romain qui évoque le problème de la pureté des moines et qui fait écho aux tensions entre le monde monastique et l’épiscopat, rendent très probables des relations, des échanges et même, dans certains cas, une filiation étroite entre les communautés de Saint-Maurice, Saint-Claude, d’autres monastères du Jura, l’épiscopat de Genève, le monastère de l’Ile-Barbe à Lyon et peut-être même celui de Lérins. Ces relations pouvaient cependant être tendues : il semble que les particularités liturgiques de Saint-Maurice – la « laus perennis » – soit une des sources de ces désaccords.

5. Le Père Bernard DE VREGILLE, de l’Institut des Sources Chrétienne, CNRS, a analysé la tradition manuscrite de la Vie des abbés d’Agaune. En reprenant l’histoire de la recherche, l’intervenant a montré que le Jésuite Jean-Pierre Chifflet, au XVIIe siècle, avait copié, à partir d’un manuscrit de Saint-Jean de Besançon aujourd’hui perdu et qui devrait dater du VIIe siècle, une Vie des abbés d’Agaune, une chronologie des douze premiers abbés et un long poème sur saint Probus, moine-prêtre à Agaune, composé par un certain Pragmatius. Faute de moyens financiers, le Père Chifflet ne put jamais publier son travail. Fragmenté après sa mort et conservé aujourd’hui, pour l’essentiel, à Bruxelles (à la Bibliothèque Royale et à la Bibliothèque des Bollandistes), son manuscrit n’a été utilisé que partiellement par les éditeurs modernes.
6. Alain RAUWEL a examiné le culte de saint Maurice en Bourgogne ducale. On considère comme la première attestation du vocable de saint Maurice celle d’un sanctuaire à Saumur dans l’Auxois qui a pris, par la suite, le patronage de saint Jean. Elle devrait dater du VIe siècle, mais l’intervenant a signalé le caractère aléatoire de cette attestation très ancienne et proposé une reprise complète du dossier. Pour se retrouver sur un terrain plus sûr, A. Rauwel s’et tourné vers Saint-Bénigne de Dijon, dont l’abbatiale portait originellement un double patronage, et vers Saint-Germain d’Auxerre, où le culte pourrait être lié à Willicaire, abbé de Saint-Maurice, évêque de Sion et archevêque de Sens au VIIIe siècle. Si le culte mauricien est ainsi attesté dans quelques hauts lieux et si l’empreinte de saint Maurice reste très présente à l’époque clunisienne, il n’en est pas de même en ce qui concerne sa présence au niveau paroissial. Ici, les attestations sont beaucoup plus rares, et ce malgré la présence des reliques. Cette apparente faiblesse pourrait s’expliquer par l’absence de volonté politique. Aucune autorité n’a, semble-t-il, eu le besoin de chercher une légitimation dans un culte fondateur ancien comme celui de Maurice (ou même celui de Sigismond). L’engagement de l’évêque Willicaire pour le chef thébain fut trop ponctuel et personnel pour avoir des effets durables (un peu comme à Angers avec Eusèbe Brunon ; cf. la communication n° 10).

7. Nathanaël NIMMEGEERS, de l’université Lyon III, a consacré sa communication au culte de saint Maurice dans le diocèse de Vienne au haut Moyen Âge. D’abord, il a montré que l’implantation du culte de saint Maurice est, ici, très tardive. Le siège épiscopal fut d’abord sous le vocable des Maccabées, et c’est seulement au début du VIIIe siècle, après l’épiscopat d’Eoalde, que l’Eglise de Vienne semble prendre le nom de saint Maurice, au moment où l’on ajouta un oratoire dédié au chef thébain au groupe cathédrale (cependant, même à cette époque, le vocable primitif restait en usage). Le patronage de Maurice semble d’autant plus faible que celui du Sauveur apparut dès la fin du IXe siècle, probablement pendant l’épiscopat d’Adon ; originaire du Gâtinais et formé en Germanie, il n’était manifestement pas très intéressé par le culte mauricien. Seule l’époque bosonide à Vienne (879-887) marque finalement un moment fort pour la vénération de saint Maurice, certainement pour deux raisons : d’abord, Boson voulait mettre la main sur l’abbaye Saint-Maurice, et ensuite, c’est l’aspect militaire qui semble avoir séduit. A partir du Xe siècle, le vocable de saint Maurice est à nouveau concurrencé par d’autres patronages, mais ne disparaît jamais : associé au saint Sauveur, le vocable de Maurice garda son importance sous Hugues d’Arles, puis disparut progressivement au moment où les Ottoniens associèrent le culte du Thébain à leur règne, avant de revenir en force au début du XIIe siècle, quand on a commencé écrire une nouvelle légende : on aurait trouvé la tête de Maurice dans le Rhône où il serait tombé après sa décapitation à Agaune. On voulait sans doute ainsi justifier la présence du chef du soldat dans la ville de Vienne, afin de se présenter comme lieu où on conservait les têtes des martyrs (à côté de celui de Maurice, on y gardait aussi ceux de Féréol et de Julien).

8. François DEMOTZ, de l’Université de Lyon III, s’est interrogé sur la question de savoir si saint Maurice et son abbaye étaient identitaires pour les rois de Bourgogne, question qui paraît évidente, mais qui n’avait été, jusqu’ici, guère abordée. En s’interrogeant sur la place de saint Maurice dans l’action royale et comme patron du pouvoir royal, il a exploré l’utilisation des reliques, le rôle de la fête du saint et la place respective des différents lieux dédiés aux martyrs thébains. F. Demotz a mis en évidence que le patronage devenait, au cours des règnes des Rodolphiens, de plus en plus discret. Inscrit dans la tradition régalienne bourguignonne, le culte s’avère surtout essentiel quand il est nécessaire de fixer un nouveau pouvoir et de définir une nouvelle identité. Rodophe Ier s’est donc fait couronner auprès de saint Maurice, acte fondateur pour la dynastie et, par la suite, ses successeurs ont, autant que la documentation l’atteste, passé toutes les fêtes du saint à Agaune. Mais sous l’influence d’Adélaïde Bourgogne, deuxième épouse d’Otton Ier, et Odilon, abbé de Cluny, l’importance du culte mauricien déclina dans la spiritualité rodolphienne : le lien identitaire avec le saint devint nettement moins important, d’autant plus qu’il était à partager avec l’empereur, car les Ottoniens ‘brouillaient’ l’image de Maurice pour les Rodophiens, et déplaçaient le centre du culte vers l’est. Le patronage officiel du roi et de son pouvoir à Agaune avait alors tendance à s’effacer devant un lien plus personnel mais non exclusif entre les Rodolphiens et saint Maurice au fur et à mesure que ce dernier devenait un saint impérial.

9. Laurent RIPART, de l’Université de Savoie, a examiné le processus de la réforme canoniale à Saint-Maurice (XIe – XIIe siècle), qui était particulièrement long et erratique : les chanoines de l’abbaye, qui était pour les Rodolphiens une sorte de chapelle royale, ont dû s’y reprendre à quatre reprises. Dans un premier temps, au début du XIe siècle, ils ont cherché à émanciper l’abbaye de la tutelle royale, en faisant notamment résilier l’abbatiat laïc des rois de Bourgogne. Cette phase s’inscrit globalement dans la réforme des chapitres canoniaux qui fut particulièrement vive dans la Bourgogne rodophienne de la fin du Xe siècle, notamment en raison de l’influence ottonienne. Toutefois, les résultats étaient mis en question du fait que l’évêque de Sion obtint l’abbatiat de Saint-Maurcie, en 1032, au moment où la dynastie rodophienne s’est éteinte. La deuxième phase de la réforme est donc caractérisée par les efforts des chanoines de se soustraire de l’influence épiscopale. Elle fut couronnée de succès en 1050 par un grand privilège pontifical donné sur l’initiative conjointe de Léon IX et d’Henri III, qui visait à restaurer l’exemption de l’abbaye en la plaçant sous protection impériale, au sein de la « Reichskirche » salienne. La troisième phase de la réforme correspond à la crise suscitée par la Querelle des Investitures. Etant donné que l’anti-roi germanique Rodophe de Rheinfelden s’était emparé de l’abbaye vers 1076, la maison canoniale se trouva au centre du conflit entre Grégoire VII et Henri IV. Lors de cette nouvelle sécularisation – après Rodophe, les comtes de la Savoie occupèrent l’abbatiat –, une partie des chanoines quittèrent alors l’abbaye afin de vivre selon la règle de saint Augustin, à Abondance. La quatrième phase, enfin, débuta en 1128, avec la résiliation de l’abbatiat laïque d’Amadée III de Maurienne-Savoie et l’introduction de la règle augustinienne. En deux siècles, Saint-Maurice – d’abord une maison canoniale très ‘politique’, une sorte de ‘Hofkapelle’ rodolphienne –, a donc gagné un réel prestige spirituel : la transformation était profonde !

10. Guy JAROUSSEAU, de l’université catholique d’Angers, s’est intéressé au rapport entre saint Maurice et Angers où la cathédrale est dédiée au chef thébain. Les manuscrits attestent de la place du saint au cœur d’une tradition se réclamant de saint Martin. Ce dernier aurait ramené d’Agaune des ampoules remplies à moitié du sang de saint Maurice, que l’on trouve, au XIIe siècle, à Angers, Tours et Candes. Au centre de l’étude de G. Jarousseau se retrouva Eusèbe Bruno, évêque d’Angers au XIe siècle, qui s’appelait au début et à la fin de son épiscopat Brunon, nom très répandu en Bourgogne, et lors du pontificat Eusèbe. Sa vénération pour saint Maurice se manifesta non seulement par un voyage à Agaune d’où il ramena des reliques du saint thébain Innocent, mais aussi par sa négligence des cultes d’Aubin et de Maurille, deux importants saints locaux. Dans une enquête quasi policière, s’appuyant sur différentes traditions manuscrites à Autun et Angers, l’intervenant a montré que l’évêque venait certainement d’Autun et que son épiscopat a été décisif pour lancer le culte de saint Maurice à Angers.

11. Esther DEHOUX, de l’université de Poitiers, a intitulé sa communication « Le légionnaire et le souverain. Culte de saint Maurice et pouvoir central dans le royaume franc (VIIIe-XIIIe siècle) ». Elle avait pour objectif d’équilibrer l’image très répandue du chef thébain, qui l’associe trop exclusivement à l’Empire ottonien. En s’appuyant sur les témoignages littéraires et iconographiques, Esther Dehoux a montré que les récits de la passion de Maurice étaient amplement recopiés et diffusés dès le VIIIe siècle, inspirant par là d’autres textes qui célèbrent l’exemplarité des saints d’Agaune, comme les chroniques et les chansons de croisade. Attesté dans l’iconographie dès le IXe siècle, le « primicerius » de la légion est une figure régulièrement retenue pour orner les murs des sanctuaires et les folios des manuscrits. Ces représentations ne retiennent, de manière générale, pas la mise à mort du saint, mais elles insistent sur le lien étroit qui l’unit au souverain. Saint Maurice est donc associé, en Francie occidentale, et surtout dans les régions septentrionales, à la victoire militaire du roi. Il permet de rappeler que le guerrier a vocation à obéir à son souverain, mais aussi d’exhorter celui-ci à gouverner en fonction de la volonté divine.

12. Christian LAURANSON-ROSAZ, de l’université Lyon III, a intitulé sa communication « L’aristocratie vecteur du culte de saint Maurice d’Agaune : l’exemple auvergnat du lignage de Montboissiers (Xe-XIIe siècle) ». Après avoir exposé quelques considérations sur l’anthroponymie nobiliaire des hautes époques, rappelant surtout que le nom est une marque éminente de la noblesse et un élément majeur de la « conscience de classe » aristocratique, l’intervenant s’est penché sur la dynastie des Montboissiers et leur dévotion particulière pour saint Maurice. Connus dès le Xe siècle comme l’un des grands lignages aristocratiques d’Auvergne, ils portaient de manière continue et presque exclusive le nom de Maurice. L’un des titres de gloire de la famille était la fondation de l’abbaye piémontaise de Saint-Michel-de-la-Cluse, au débouché du col du Mont-Cenis. Les routes des pérégrinations ‘michaeliennes’ des Montboissiers qui ont croisé celles de la diffusion du culte de Maurice, font penser que l’adoption de ce nom chez eux ainsi que leur « mauriciofolie » persistante sont, au moins en partie, liées à des motivations cultuelles.

13. Dans une communication qui dépasse légèrement notre cadre chronologique, Claude ANDRAULT-SCHMITT, de l’université de Poitiers, s’est intéressée au culte de saint Maurice à Tours et à sa signification politique. En effet, depuis Grégoire de Tours, et peut-être depuis saint Martin lui-même, les reliques de saint Maurice et donc son culte étaient largement répandus dans les pays ligériens. Les vocables l’attestent – la cathédrale de Tours fut consacrée à saint Maurice – et les légendes rapportent que Martin aurait coupé la terre à Agaune pour recueillir le sang du martyr, et que Grégoire de Tours aurait trouvé des reliques de Maurice dans l’église métropolitaine ; leur origine semblait alors incertaine déjà au Ve siècle. En s’appuyant sur une riche documentation – avec un accent fort sur les vitraux du XIIIe et XIVe siècles –, l’intervenante a montré que Maurice restait aussi par la suite très présent dans la vie cultuelle de la Touraine, malgré un autre saint dont le culte montait en puissance à l’époque de Louis IX : en effet, à un moment où le roi éprouva une forte vénération pour le chef thébain, qui restait étroitement associé à l’idéologie royale, l’archevêque et ses chanoines de Tours cherchaient à substituer à ce culte celui de l’évangélisateur légendaire, Gatien.

14. Philippe GEORGE, Conservateur du Trésor de la Cathédrale de Liège, n’a malheureusement pas pu assister au colloque, mais sa communication a été lue par Monique Paulmiers-Foucart. L’exposé portant sur les Thébains en Pays mosan, tous les participants ont pu admirer des images des reliquaires et d’autres objets sacrés car, si le culte des Thébains en pays mosan est amplement attesté dans les textes, dans les dédicaces et dans les obituaires et si les témoignages sont souvent très anciens – on pense à Grégoire de Tours, qui évoque Xanten et Cologne –, il se manifeste ici surtout à travers la vénération des reliques. Une recension de toutes les attestations semble, à l’heure actuelle, presque impossible, mais les exemples analysés mettent en évidence le fait que le culte s’adresse, pour l’essentiel, à l’élite de la société et qu’il véhicule une idéologie impériale.

15. Paul BERTRAND, de l’IRHT, n’a malheureusement pas pu participer au colloque, mais sa communication, portant sur « Les reliques à Magdebourg » a été lue par Anne Wagner. En analysant le trésor de l’abbaye de Magdebourg, fondée en 938 et élevée en siège métropolitain en 968, l’auteur a montré qu’on conserva beaucoup de reliques d’origines italiennes ; leur présence s’explique en grande partie par les voyages des empereurs dans la Péninsule. Parmi les autres reliques vénérées dans l’abbaye saxonne, il faut mentionner des saints lotharingiens comme Géry, transféré de Cambrai, et, bien sûr, saint Maurice : Otton Ier demanda, pour la fondation de Magdebourg, ses reliques, mais il ne reçut ‘que’ celles d’Innocent, un autre légionnaire thébain. Toutefois, il parait improbable que le monastère ait pu être consacré au célèbre chef de la légion sans qu’on y conserve quelques morceaux de son corps. En effet, la documentation textuelle des translations de Maurice en Saxe s’avère très pauvre, mais on ne doute pas, aujourd’hui, qu’il y en ait eu plusieurs, comme celle de 1008, sous le règne d’Henri II. D’autres compagnons de la légion thébaine furent également transférés dans le sanctuaire saxon, qui diffusa ensuite ces reliques à d’autres églises germaniques comme celle d’Halberstadt. Maurice est ainsi devenu un saint impérial, protecteur de l’Empire, fonction qui fut encore renforcée par la vénération de la sainte lance attribuée – entre autres – au chef thébain. Très occupés par des guerres sur la frontière de l’Est contre les peuples slaves et les Hongrois, les Ottoniens voulaient, par là, renforcer l’idée de la lutte victorieuse et de la mission, et dans ce contexte Magdebourg devenait ainsi, en partie grâce à son trésor de reliques, une nouvelle capitale politique, ecclésiastique et spirituelle : une « Roma secunda » ou une Aix-la-Chapelle ottonienne.

16. J’ai, pour ma part, analysé le culte des Thébains à Trèves, qui a connu son véritable essor au XIe siècle, au moment où les clercs de la métropole mosellane avaient découvert deux textes, la Passion des martyrs d’Amiens, Fuscien, Victoric et Gentien (écrite entre 600 et 800), et la « Vita IIIa Hildulfi » (rédigée dans la première moitié du XIe siècle). À partir de ces écrits, qui contiennent de légères contradictions, l’hagiographe d’Agrice, qui écrivit, entre 1050 et 1072, une Vie sur le quatrième évêque de Trèves, a élaboré une version cohérente d’un massacre à Trèves au IIIe siècle qui aurait été commis par le persécuteur Rictiovare et dont les victimes étaient à la fois des chrétiens de la ville et des soldats de la légion thébaine. En 1072, les chanoines de Saint-Paulin ‘découvrirent’ enfin les corps des principaux représentants de ces martyrs, ‘découverte’ qui fut, en réalité, une grande mise en scène. Elle leur a permis de s’imposer, dans la ville mosellane, comme véritable centre pour la vénération des martyrs, car d’autres abbayes revendiquèrent également la possession de quelques unes de leurs reliques, et elle a permis au siège métropolitain – Saint-Paulin était une abbaye épiscopale – de défier Cologne où Annon II ne cessait de promouvoir le culte des Thébains.

17. Dans une communication intitulée « La lance de saint Maurice selon la légende de Godefroy de Viterbe, Edina BOZOKY, de l’université de Poitiers, a présenté une fine analyse des vers du poème « Panthéon » qui portent sur l’un des insignes impériaux les plus prestigieux, la lance (Godefroy de Viterbe, « Panthéon », Particula XXVI, MGH SS 22, pp. 273-274). Vers la fin du XIIe siècle, son auteur, Godefroy, a identifié cette lance avec celle de saint Maurice en ajoutant qu’elle a été renforcée par un clou de la crucifixion. Ainsi toujours garante de victoire pour l’empire dans ces guerres, elle aurait d’abord appartenu à Boson, roi d’Arles, qui, grâce à elle, remportait toutes les batailles. Mais dans un accès de fureur, il aurait blessé un évêque lors de l’office nocturne de Noël. Cet acte aurait provoqué la révolte des autres prélats qui vainquirent alors le roi dans une bataille. Humilié, Boson aurait donc renoncé au pouvoir en s’adressant à Otton Ier pour lui transmettre son royaume et la lance de Maurice. Ce récit – par ailleurs anachronique – se distingue, de manière significative, d’autres légendes autour de la sainte lance, rapportées notamment par Liutprand de Crémone, qui la rattachent non seulement à Maurice, mais aussi à Constantin ou encore à Longin. Il fait sans doute partie de la propagande de Frédérique Barberousse concernant l’appartenance de la Bourgogne à l’empire.